Aller au contenu

Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/9

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ajouta-t-il, mon embarras et ma confusion. Heureusement le parterre n’a pas fait attention à moi. — ་Monsieur, lui répondis-je, vous n’aviez rien à craindre ; vous justifiez si bien ce que l’on fait pour vous que personne ne pense à le trouver mauvais. » Et, en effet, je lui voyois remplir si dignement sa place qu’à son égard la faveur me sembloit n’être que la simple équité.

Ce fut ainsi que je fus cinq ans sous ses ordres sans le plus léger mécontentement ni de son côté ni du mien, et qu’en quittant la place qu’il m’avoit accordée je le conservai pour ami. J’eus même le bonheur de lui être utile plus d’une fois à son insu auprès de madame sa sœur, qui lui reprochoit de la dureté dans les réponses négatives qu’il faisoit aux demandes qui lui étoient adressées. « C’est moi, Madame, lui disois-je, qui ai minuté ces réponses » ; et je les lui communiquois. « Mais avec ce monde, ajoutois-je, de quelque politesse qu’un refus soit assaisonné ; il leur semble toujours amer. — Et pourquoi tant, de refus ? disoit-elle ; n’ai-je pas assez d’ennemis șans qu’on m’en fasse de nouveaux ? — Madame, lui répliquai-je enfin, c’est l’inconvénient de sa place, mais c’en est aussi le devoir ; il n’y a pas de milieu : ou il faut qu’il s’en rende indigne en trahissant les intérêts du roi pour complaire aux gens de la cour, ou qu’il se refuse aux dépenses folles qu’on lui