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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/95

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Chastellux, dont l’esprit ne s’éclaircissoit jamais assez, mais qui en avoit beaucoup, et en qui des lueurs très vives perçoient de temps en temps la légère vapeur répandue sur ses pensées, Chastellux apportoit dans cette société le caractère le plus liant et la candeur la plus aimable. Soit que, se défiant de la justesse de ses idées, il cherchât à s’en assurer, soit qu’il voulût les nettoyer au creuset de la discussion, il aimoit la dispute et s’y engageoit volontiers, mais avec grâce et bonne foi ; et, sitôt que la vérité reluisoit à ses yeux, que ce fût de lui-même ou de vous qu’elle vint, il étoit content. Jamais homme n’a mieux employé son esprit à jouir de l’esprit des autres. Un bon mot qu’il entendoit dire, un trait ingénieux, un bon conte fait à propos, le ravissoit ; on l’en voyoit tressaillir d’aise, et, à mesure que la conversation devenoit plus brillante, les yeux de Chastellux et son visage s’animoient tout succès le flattoit comme s’il eût été le sien.

L’abbé Morellet, avec plus d’ordre et de clarté, dans un très riche magasin de connoissances de toute espèce, étoit, pour la conversation, une source d’idées saines, pures, profondes, qui, sans jamais tarir, ne débordoit jamais. Il se montroit à nos dîners avec une âme ouverte, un esprit juste et ferme, et dans le cœur autant de droiture que dans l’esprit. L’un de ses talens, et le plus distinc-