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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T2.djvu/97

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à lui-même ce qu’il vouloit persuader aux autres, soit qu’il en fût encore à se débattre contre ses propres doutes, et qu’il s’exerçât à les vaincre, nous nous amusions à lui voir jeter successivement sur le tapis les questions qui l’occupoient, ou les difficultés dont il étoit en peine ; et, après lui avoir donné quelque temps le plaisir de les entendre discuter, nous l’engagions lui-même à se laisser aller au courant de nos entretiens. Alors il s’y livroit pleinement et avec chaleur, aussi simple, aussi naturel, aussi naïvement sincère dans ce commerce familier, que vous le voyez systématique et sophistique dans ses ouvrages. Rien ne ressemble moins à l’ingénuité de son caractère et de sa vie habituelle que la singularité préméditée et factice de ses écrits ; et cette dissemblance se trouvera toujours entre les mœurs et les opinions de ceux qui se fatiguent à penser des choses étranges. Helvétius avoit dans l’âme tout le contraire de ce qu’il a dit. Il n’y avoit pas un meilleur homme : libéral, généreux sans faste, et bienfaisant parce qu’il étoit bon, il imagina de calomnier tous les gens de bien et lui-même, pour ne donner aux actions morales d’autre mobile que l’intérêt ; mais, en faisant abstraction de ses livres, on l’aimoit lui tel qu’il étoit ; et l’on verra bientôt de quel agrément fut sa maison pour les gens de lettres. Un homme encore plus passionné que lui pour