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Page:Marmontel - Mémoires de Marmontel - M. Tourneux, Lib. des biolio., 1891, T3.djvu/63

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dîner deux académiciens des plus intègres et des plus sages, M. Thomas et M. Gaillard.

Le dîner se passa paisiblement et décemment ; mais, au sortir de table, nous étant retirés tous les cinq dans un cabinet : « Messieurs, dis-je à nos deux arbitres, M. La Harpe croit avoir à se plaindre de M. l’abbé Maury ; celui-ci prétend que la plainte n’est pas fondée ; nous allons les entendre. Parlez, Monsieur de La Harpe, vous serez écouté en silence ; et de même en silence M. l’abbé Maury sera entendu après vous. »

L’accusation étoit grave. Il s’agissoit d’une satire que l’abbé Maury auroit conseillé à un Russe, ami de La Harpe, de faire contre lui, dans le temps qu’ils étoient tous les trois de la même société. Le comte de Shouvalof, le seul témoin que La Harpe auroit pu produire, étoit retourné en Russie ; et, comme on ne pouvoit l’entendre, on ne pouvoit le réfuter.

L’abbé Maury, dans sa défense, fut donc réduit à discuter l’accusation elle-même, et ce fut par les circonstances qu’il fallut démontrer qu’elle se démentoit. C’est ce qu’il fit avec tant d’ordre, de précision, de clarté, avec une présence d’esprit et de mémoire si merveilleuse que nous en fûmes confondus. Enfin, dans cette discussion, il serra de si près son adversaire, et avec tant de force, que celui-ci resta muet. L’avis unanime des