Page:Marquis de Lassay, Maurice Lange - Lettres amoureuses et pensées diverses du marquis de Lassay, Sansot 1912.djvu/40

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il fut héroïque. Lorsque Julie fut morte, en 1710, à demi-folle, dit Saint-Simon, il ne trouva pas ridicule de joindre le nom de Julie à celui de sa chère Marianne, dans cette prière, qu’on lira plus loin, où il offre l’hommage de sa gratitude aux femmes qu’il a le plus aimées[1]. — Mais il n’y oublia pas non plus « sa chère Bouzoles ».

C’était la fille aînée de Colbert de Croissy, une nièce de Colbert, très laide — affirme encore Saint-Simon et déjà fort montée en graine quand elle avait épousé (1696) le marquis de Bouzoles, « gentilhomme d’Auvergne tout simple et peu connu, sinon par avoir acheté le régiment Royal-Piémont. » Elle avait d’ailleurs, ajoute Saint-Simon, « infiniment d’esprit, et de grâces et d’amusements dans l’esprit » [2]. Lassay l’avait vue jeune fille de quinze ans, dans les salons de Mme de Croissy sa mère ; et un conte allégorique[3] où il dit comment dès lors, à Versailles, l’Amour l’avait conduit vers elle — qu’il désigne sous le nom d’Élise — engageait Allaire à la reconnaître dans l’Élise de La Bruyère, celle avec qui s’entretient Nicandre[4]. La coïncidence est au moins curieuse. Quoi qu’il en soit, quand, veuf pour la troisième fois, Lassay revit Mme de Bouzoles à l’Hôtel de Bourbon, où l’amitié de Madame la Duchesse lui faisait une place de choix, il sentit qu’en dépit de ses soixante ans il n’avait point passé le temps d’aimer. La situation qui s’ensuivit ne laisse pas d’être piquante. Tandis que la duchesse de Bourbon agrée les amoureux hommages du fils de Lassay et de la belle

  1. Voir infra, p. 257.
  2. III, p. 35-36. Cf. XVIII, p. 18 : « Mme de Bouzoles, avec une figure hideuse, était charmante dans le commerce, avec de l’esprit comme dix démons. »
  3. Recueil, III, p. 113-119 (date : 1724).
  4. Allaire, op. cit.