Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/111

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conversation avait repris de plus belle ; des éclats de rire presque convulsifs vinrent même interrompre le chanteur Lays au milieu de son air Du malheur auguste victime, qu’il disait avec une si touchante expression. Trépignant d’indignation sur sa banquette ébranlée et ne pouvant plus y tenir, Curasson se lève furieux et s’adressant aux interrupteurs, leur dit brusquement : « Foutre, Messieurs, je vous ordonne de vous taire. » À cette apostrophe, la conversation cessa tout à coup et notre Franc-Comtois enthousiaste ne pensait déjà plus à cet incident lorsque tomba le rideau final ; mais au moment où il mettait son chapeau pour sortir, un des jeunes gens de la loge lui frappa sur l’épaule d’une main vigoureuse et lui dit : « Monsieur, voilà ma carte, j’espère que nous nous reverrons demain.

— Moi, monsieur, vous revoir demain ? Oh ! foutre, non. Vous m’avez bien trop embêté ce soir. » La réponse était franche, les jeunes gens étaient de bon goût, ils rirent aux éclats et l’aventure n’alla pas plus loin.

Un jour, mon oncle F. de Mandre disait à notre brillant avocat qui, pendant un dîner, avait piqué les uns, pincé les autres, égratigné ceux-ci, mordu ceux-là : « Curasson, avec votre mauvaise langue, vous avez dû avoir bien des affaires dans votre vie ? — Jamais, cher ami, jamais, mais il n’a tenu qu’à moi. »

En 1816, lorsque les gens bien pensants avaient la rage d’être de la garde nationale et de jouer aux soldats, M. Curasson se trouvait un soir de garde en