Lancé presque tout à coup au milieu d’un monde nouveau, absorbé par les plaisirs attrayants d’une grande ville, j’oubliai peu à peu mes bonheurs bisontins, y compris le pur et suave sourire de Virginie Nodier, et je m’en pris à regarder mes rêves passés comme un jeu d’enfants auquel devait renoncer l’homme raisonnable. Virginie en fit tout autant de son côté, seulement sa constance fut un peu plus longue que la mienne de quelques semaines ; voilà toute la différence. Elle épousa bientôt M. Joseph Gandillot, eut des enfants, perdit sa grâce de jeune fille et se développa démesurément de taille et de visage ; ses traits se noyèrent dans un épais ovale de graisse qui éteignit les lignes si correctes, si distinguées de sa figure charmante ; ce n’était plus qu’une superbe mère de famille, dont la physionomie sans cachet et la tournure alourdie n’inspiraient ni sentiment ni passion. Elle était si peu en rapport avec son essence primitive, si loin de cette conversation simple et attrayante qu’elle avait autrefois, que je ne songeai jamais à lui demander si elle était heureuse. Sa vie était uniforme, d’un calme plat, et paraissait s’absorber dans les soins du ménage. Elle avait une santé magnifique, et pourtant elle est morte jeune. Je ne crois pas, et j’en ai eu un chagrin véritable, qu’elle ait trouvé dans le ma-
vent en courses nocturnes, que dans les voitures de place qu’il emploie alors, il oublie souvent ses cordons, sa redingote, etc. (Rapports de la Sûreté générale. Archives nationales. — Cités par M. Nauroy, dans le Curieux.)