Page:Marquiset,À travers ma vie,1904.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la chasse, il appela son garde afin de lui montrer le pas d’un lièvre qui venait de traverser le chemin, et pour mieux en reconnaître l’empreinte il s’était accroupi ; à son appel, le garde accourut, et se baissa si brusquement que les deux coups de son fusil partirent à la fois, et toute la charge pénétra dans le ventre de son maître, un peu au-dessous du nombril. Porté chez lui mourant, il succomba douze heures après ce coup fatal, malgré les soins empressés et intelligents de deux chirurgiens habiles.

Henri était une excellente nature, un cœur d’or, un homme d’esprit, et sa mort subite a laissé un long deuil dans toute sa famille, et dans la population entière. Nous ne nous étions presque pas perdus de vue, lui et moi, depuis le lycée ; et, quand nous nous retrouvâmes ensemble à Versailles, lui aux grenadiers, moi à la préfecture, notre intimité devint de plus en plus vive. C’était un fort bel homme, d’une physionomie charmante, mais il était devenu un peu trop gros, ce qui le gênait dans sa marche et ne le rendait pas élégant. Il aimait beaucoup le plaisir et les femmes. Quelquefois, après un déjeuner de garçon, Henri était un peu mauvaise tête et mauvais coucheur, mais ça lui passait vite ; brave d’ailleurs et d’une grande adresse l’épée à la main, il portait partout les qualités précieuses qui accompagnent ce défaut.

Bon ami, humain pour tous, sa bourse était ouverte à ses camarades, et il avait toujours au fond de sa poche des pièces de monnaie pour les malheureux.