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d’une somme de soixante mille francs pour parer à toutes les éventualités, il fallait qu’il la leur procurât dans le courant de la semaine. Mon père, qui avait fait cacher sous une pierre, dans sa cave, cent mille francs recueillis pendant les deux ou trois mois qui précédèrent notre envahissement, envoya le soir même la somme demandée.

C’était certes du dévouement, car il était alors impossible de prévoir ce que la France allait devenir, et les gouvernements n’ont pas toujours acquitté dans les jours de prospérité les dettes contractées dans les jours de malheur. Je dois dire que les soixante mille francs furent strictement remboursés à mon père qui, malgré sa sécheresse extérieure, couvait une grande générosité de cœur. L’assistance hardie qu’il prêta aux émigrés pendant la Révolution[1], le dévouement qu’il montra vis-à-vis d’une princesse malheureuse, sa conduite à Besançon en 1814 lui attirèrent, en plus d’une récompense incomplète, la décoration de la Légion d’honneur.

Le blocus a marqué pour moi une des périodes les plus solennelles de la vie ; j’ai vu de près la guerre, j’ai été témoin, du haut de nos remparts et l’arme au bras, de quelques engagements meurtriers, et ce fut alors que s’éveilla subitement en moi un premier amour, mais de ces amours frais et naïfs qu’on peut

  1. Voir à ce sujet les Souvenirs d’un officier royaliste, par le chevalier de R(omain), tome III, et la Frontière franco-suisse pendant la Révolution, de L. Pingaud.