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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/103

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les galères de dunkerque

et nous entrâmes dans cette fatale anse un peu avant le jour. Nous y jetâmes deux ancres et chacun songea à prendre un peu de repos.

Cependant Pieter Bart pleurait et soupirait, se disant à l’approche d’une mort inévitable. Enfin le jour parut. Le vent se mit au sud-ouest, mais si faible qu’on y prenait pas garde. Mais à mesure que le soleil se levait, il se renforçait, ce qui réveilla l’attention sur le pronostic de Pieter Bart. On se mit en l’état de sortir de l’anse ; mais une tempête des plus furieuses s’éleva si subitement qu’au lieu de lever nos ancres, il fallut en jeter deux autres pour nous soutenir contre la violence du vent et des vagues, qui nous jetaient sur les écueils, et ce qu’il y avait de plus fâcheux, c’est que l’ancrage de cette anse ne valait rien, et que les quatre ancres que nous avions mouillées à la proue de la galère labouraient et ne pouvaient tenir fond, nous acculions à vue d’œil sur les rochers. Le commandant et tous nos pilotes, voyant que nos ancres ne pouvaient tenir, trouvèrent à propos de faire ramer sur nos ancres pour les soulager, mais aussitôt qu’on trempait les rames à la mer pour ramer, les épouvantables vagues les emportaient bien loin de là. Alors tout le monde connut le naufrage inévitable. Chacun pleurait, gémissait et faisait sa prière. L’aumônier exposa le Saint-Sacrement, donna la bénédiction et l’absolution à ceux qui se sentaient une véritable contrition, n’y ayant ni le temps ni l’occasion d’aller à confesse. Ce qu’il y avait de singulier dans une si grande désolation, c’était d’entendre ces malheureux forçats condamnés pour leurs crimes crier hautement au commandant et aux officiers : « Allez, messieurs, nous allons bientôt être tous égaux : car nous ne tarderons pas à boire dans un même verre. » Jugez de la contrition et de la repentance qu’ils avaient de leurs crimes.

Enfin, dans cette horrible extrémité, où tout le monde n’attendait qu’une mort prochaine, le commandant vit Pieter Bart qui s’affligeait et se lamentait : « Mon cher Pieter, lui dit-il, si je t’avais cru, nous ne serions pas dans cette grande angoisse. N’as-tu pas quelque expédient pour