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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/108

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la vie aux galères

Cependant nous étions tous plus morts que vifs, mouillés jusqu’aux os, n’ayant ni mangé ni bu depuis deux jours, parce qu’on ne pouvait avoir ni pain, ni vin, ni eau-de-vie, en un mot aucun vivre, n’osant ouvrir les écoutilles de peur que la galère ne se remplît d’eau. Outre cela, l’appréhension du péril prochain nous abattit le peu de courage qui nous restait en considérant qu’il fallait entrer par l’étroite embouchure entre ces deux têtes de jetée, et que, si malheureusement la galère y touchait tant soit peu, elle se briserait en mille pièces, et pas un chat ne se sauverait. Il n’y avait que Pieter Bart qui témoignait n’avoir aucune crainte et qui se moquait de la terreur panique qui nous avait tous saisis, tant officiers que les autres, nous reprochant que nous étions des poules mouillées. Il dit cependant au commandant qu’il ne pouvait éviter que la galère ne s’allât casser la proue au quai de la Poissonnerie, qui était le cul-de-sac où aboutissait le port, à cause qu’entrant avec toutes les voiles au vent, on ne pourrait arrêter ladite galère. « Qu’importe, dit M. de Langeron, ce n’est que du bois, et le travail des charpentiers réparera le dommage. » Pieter donc prépare sa manœuvre, laisse filer les câbles des ancres à la mer, range les voiles, et, ordonnant un grand silence, il rase la côte du sud jusqu’à l’embouchure et gouverna si habilement qu’il tourna tout court dans ladite entrée des jetées. Il amena d’abord ses voiles, mais la galère était si abreuvée de son cours rapide que plus de deux ou trois mille matelots ou autres gens de mer que l’intendant de la ville avait envoyés sur les jetées pour nous secourir et qui nous jetaient à tout moment des cordages pour nous arrêter, n’en purent venir à bout. Les plus grosses cordes se cassèrent comme un fil, et enfin la galère s’alla casser le nez contre le quai de la Poissonnerie, comme Pieter l’avait bien prévu. La galère de M. de Fontête fit la même manœuvre que nous et entra aussi heureusement dans le port, où Pieter Bart prit son congé du commandant qui voulait à toute force le retenir sur son bord en lui promettant double gage. « Non pas, lui dit Pieter, quand tu me donnerais mille livres par mois, j’en