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les galères de dunkerque

il tira ses tablettes de sa poche, et demanda qui se nommait Jean Marteilhe. Je lui dis que c’était moi. Il s’approcha de mon lit et me demanda si je connaissais M. Piécourt. Je lui dis que oui et qu’il avait la bonté de me procurer autant de soulagement qu’il pouvait, depuis six ou sept années que j’étais en galère. « La manière, me dit-il, dont il vous a recommandé à mes soins, me prouve assez ce que vous me dites. Voyons vos plaies. » La principale était celle de l’épaule, très dangereuse par sa situation. D’abord qu’il eut levé le premier et l’unique appareil que le chirurgien de la galère m’avait mis, qui n’était qu’une compresse trempée d’eau-de-vie, et qu’il vit que cette négligence était cause que la gangrène était à ma plaie, il appela le chirurgien de la galère, lui reprocha qu’il était un bourreau de m’avoir traité ainsi, et que si j’en mourais, comme il était à craindre, il aurait à se reprocher d’être mon meurtrier. Notre chirurgien s’excusa du mieux qu’il put et pria le chirurgien-major de permettre qu’il me pansât. Le chirurgien-major refusa et déclara à tous les autres que j’étais son blessé et qu’il ne prétendait pas que qui que ce soit me pansât que lui. En effet, il prit un si grand soin de moi et usa de tant de précautions pour que la gangrène, qui était dans toutes mes plaies, ne gagnât le dessus, que je puis dire qu’il me sauva la vie.

Il mourut bien les trois quarts de nos blessés, dont la plupart ne l’étaient pas si dangereusement que moi. Dans les hôpitaux, comme celui où nous étions, il s’y trouvait quarante à cinquante chirurgiens aux pansements. Chacun indifféremment pansait le premier qui lui tombait sous la main, ce qui faisait qu’il était rare qu’un seul chirurgien pansât deux fois le même blessé. Il n’en fut pas de même à mon égard, car je fus toujours pansé par le chirurgien-major, qui consolida mes plaies dans moins de deux mois ; mais il me fit rester encore un mois en convalescence pour me bien refaire et reprendre mes forces. Le directeur de l’hôpital, à qui j’étais aussi recommandé, ayant ordonné aux frères de l’ordre de Saint-François, qui servent cet hôpital, de me donner tout ce que je demanderais, j’étais