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une condamnation aux galères

cruelle, chez les bourgeois où ils furent mis à discrétion, fit bien plus de nouveaux convertis que les exhortations des jésuites. On mit chez mon père vingt-deux de ces exécrables dragons et je ne sais par quelle politique le duc le fit conduire en prison à Périgueux. On se saisit de deux de mes frères et de ma sœur, qui n’étaient que des enfants, et on les mit dans un couvent. J’eus le bonheur de me sauver de la maison, si bien que ma pauvre mère se vit seule au milieu de ces vingt-deux misérables, qui lui firent souffrir des tourments horribles et après avoir consommé et détruit tout ce qu’il y avait dans la maison, ne laissant que les quatre murailles, ils traînèrent ma désolée mère chez le duc, qui la contraignit, par les traitements indignes qu’il lui fit, accompagnés d’horribles menaces, de signer son formulaire. Cette pauvre femme, pleurant et protestant contre ce qu’on lui faisait faire, voulut encore que sa main accompagnât les protestations de sa bouche, car, le duc lui ayant présenté le formulaire d’abjuration pour le signer, elle y écrivit son nom, au bas duquel elle ajouta ces mots : La force me le fait faire, faisant sans doute allusion au nom du duc[1]. On la voulut contraindre d’effacer ces mots, mais elle n’en voulut constamment rien faire et un des jésuites prit la peine de les effacer.

Cependant, je m’étais échappé de la maison, avant que les dragons y entrassent. J’avais seize ans accomplis pour lors (octobre 1700) ; ce n’est pas un âge à avoir beaucoup d’expérience pour se tirer d’affaire, surtout d’un si mauvais pas. Comment échapper à la vigilance des dragons dont la ville et les avenues étaient remplies pour empêcher qu’on ne s’enfuît ? J’eus néanmoins le bonheur de sortir de nuit sans être aperçu avec un de mes amis, Daniel Le Gras, et, ayant marché toute la nuit dans les bois, nous nous trouvâmes le lendemain matin à Mussidan, à quatre lieues

  1. Lié avec Law, le duc de La Force favorisa l’établissement du système. Lors de la débâcle, il chercha à réaliser ses actions et accapara tant de marchandises qu’il fut poursuivi devant le Parlement. L’arrêt du 12 juillet 1721 flétrit sa conduite et les caricaturistes le poursuivirent de leurs lardons.