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la vie aux galères

en ont, la plupart, quarante de longueur, on y enchaîne vingt hommes à la file. Cette cave faite en rond est si grande qu’on peut y enchaîner, de la manière susdite, jusqu’à cinq cents hommes. Il n’y a rien de si affreux que de voir l’attitude et la posture de ces malheureux ainsi enchaînés. Car figurez-vous qu’un homme, ainsi attaché, ne peut se coucher de son long, la poutre sur laquelle il a la tête étant trop élevée, ni s’asseoir et se tenir droit, cette poutre étant trop basse, si bien que je ne puis mieux dépeindre la posture d’un tel homme qu’en disant qu’il est à demi couché et à demi assis, partie de son corps sur les carreaux et l’autre partie sur cette poutre. Ce fut aussi de cette manière qu’on nous enchaîna, et, tout endurci que nous étions aux peines, fatigues et douleurs, trois jours et trois nuits, que nous fûmes obligés de passer dans cette cruelle situation, nous avaient tellement roué le corps et tous nos membres que nous n’en pouvions plus, surtout nos pauvres vieillards, qui s’écriaient à tout moment qu’ils n’avaient plus la force de supporter un pareil supplice. On n’entend dans cet antre horrible que plaintes lugubres, capables d’attendrir tout autre que les gens féroces commis pour la garde de ce terrible lieu. Les plaintes sont un soulagement pour les malheureux, mais on ôte encore cette douceur aux esclaves, dignes de pitié, qui y sont enfermés, car toutes les nuits cinq ou six bourreaux de guichetiers font la garde dans ce cachot et se ruent sans miséricorde sur ceux qui parlent, crient, gémissent et se plaignent, les assommant avec barbarie à coups de nerfs de bœuf.

À l’égard de la nourriture, ils l’ont assez bonne. Des espèces de béguines, que l’on nomme sœurs grises[1], y apportent tous les jours à midi de la soupe, de la viande et du bon pain qu’on leur donne suffisamment. La mère supérieure, qui venait tous les jours dans notre cachot dis-

  1. Ces béguines appartenaient à la congrégation créée par les Pères de la Mission. « Leur fonction, dit Marteilhe, est de servir les pauvres des paroisses de Paris, à qui elles portent toujours le nécessaire, leur donnant même les médicaments dont ils peuvent avoir besoin. »