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la vie aux galères

chot étaient garnies. Il ne put même nous parler, la distance qu’il y avait de lui à nous étant trop grande et ce n’était qu’avec peine qu’il pouvait entrevoir quelqu’un de nous, qu’il ne distinguait que par notre casaque rouge. Mais nous voyant dans l’attitude affreuse où nous étions, la tête clouée sur ces poutres, il demanda au gouverneur s’il n’y aurait pas moyen de nous enchaîner par la jambe comme quelques-uns des autres galériens qu’il voyait près des grillages des croisées en-dedans du cachot. Le gouverneur lui dit que ceux qu’il voyait ainsi payaient pour cela par mois un certain prix fait. « Si vous vouliez, Monsieur, lui dit M. Girardot, mettre ces pauvres gens dans cette liberté, et faire le prix avec eux, je vous le paierais à leur défaut. » Le gouverneur lui dit qu’il verrait s’il y avait place au grillage et qu’en ce cas il le ferait. Sur quoi M. Girardot se retira. Le lendemain au matin, le gouverneur entra dans le cachot et demanda au premier de nous qui s’offrit à sa vue qui était celui qui était chargé de la dépense. On me montra. Le gouverneur vint à moi et me demanda si nous serions bien aise d’être à la grille, la chaîne au pied. Je lui dis que nous ne demandions pas mieux et enfin nous convînmes de lui payer cinquante écus pour le temps que la chaîne resterait à la Tournelle. Je payai sur-le-champ cette somme de la bourse commune dont j’étais le trésorier. Aussitôt le gouverneur nous fit décramponner de ces affreuses poutres et nous fit mettre le plus proche possible de la grille qu’il put, la chaîne au pied. Depuis plusieurs années, nous étions accoutumés à cette dernière espèce d’enchaînure ; c’est pourquoi nous nous trouvâmes fort soulagés. Notre chaîne, qui était attachée au plancher et qui nous tenait à un pied, était de la longueur de deux aunes de sorte que nous pouvions être droits sur nos pieds, assis ou couchés tout de notre long. M. Girardot nous vint visiter et nous parla avec beaucoup de facilité, au travers du grillage, mais avec prudence et circonspection à cause des autres galériens qui nous environnaient.

Nous ne jouîmes de ce repos qu’un mois, au bout duquel