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la vie aux galères

passeports et descendit dans la chaloupe des soldats, pour aller parler à l’intendant. Nous le priâmes de permettre que quelqu’un de nous l’y accompagnât, ce qu’il fut bien aise de nous accorder. J’y fus moi-même, quatrième.

Pendant que nous ramions vers le port, il me vint une pensée, qui nous fut salutaire par la grâce de Dieu. La voici. Il faut savoir que dans ce temps-là, la peste régnait dans le Levant, ce qui faisait prendre la précaution à tous ceux qui sortaient de Marseille soit par mer, ou par terre, de se munir d’une lettre de santé, et notre patron n’avait pas oublié cette précaution. Le clerc du bureau de la santé, qui ne voyait pas assez de place pour tous nos noms dans les attestations imprimées que l’on donne en pareil cas, et où l’on laisse quelques lignes en blanc pour y mettre le nom de ceux qui en requièrent, mit pour abréger : « Laissez passer 36 hommes qui vont en Italie, par ordre du roi, et qui sont en santé, etc. » Je fondai là-dessus mon projet. Je dis donc au patron d’essayer, si en montrant cette attestation seule à l’intendant, cela ne suffirait pas, ce qu’il approuva. Étant arrivé, l’intendant demanda au patron d’où il venait et où il allait et de quoi il était chargé. « De 36 hommes, Monseigneur, lui répondit le patron ; et voilà leur destination, » en lui montrant la lettre de santé. L’intendant conçut d’abord la croyance que c’était une expédition secrète de la Cour et qu’il ne lui appartenait pas de l’approfondir. Il paraissait, en effet, dans cette affaire, un air mystérieux, car nous quatre, qui étions devant l’intendant, ayant, à Marseille, quitté nos habits de forçats, nous nous étions habillés, comme nous avions pu, à la friperie si bien que l’intendant crut que nous étions déguisés. Il dit donc au patron qu’il n’en voulait pas savoir davantage, et, nous adressant la parole, il ajouta que nous pouvions nous reposer et séjourner dans la ville, autant que nous trouverions à propos et qu’il nous offrait ses services pour nous y défrayer, si nous le souhaitions. Nous le remerciâmes de sa bonté et nous nous retirâmes fort contents de la réussite de notre petit stratagème. Nous priâmes ensuite le patron de faire