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la vie aux galères

lui, commissaire, l’y avait contraint et forcé, en vertu de l’autorité que Sa Majesté lui avait confiée dans le comté de Nice, etc. » Ayant remis cette déclaration au patron Jovas, il lui demanda s’il en était content. « Très content, monsieur, répondit le patron. — Eh bien ! repartit le commissaire, tu peux faire voile pour Marseille, quand tu voudras, et tu n’as qu’à jeter sur moi toute la faute qu’on t’imputera, comme t’ayant forcé à m’obéir. » On peut juger si ce patron était satisfait. Il se voyait affranchi d’un plus long voyage et son argent que nous lui payâmes facilement gagné. Il partit donc pour Marseille, et en prenant congé de nous, il nous promit d’avertir les deux autres barques, qu’il rencontrerait sur sa route de venir à Villefranche pour y recevoir le même traitement que lui de cet honnête commissaire, qui n’avait pas dédaigné d’inventer tant de prétextes faux pour lui faire plaisir et à nous. La suite a fait voir que le patron Jovas nous tint parole, car les deux barques suivantes furent à Villefranche et firent le même manège que lui. Ainsi tous les 136 délivrés débarquèrent dans ce dernier port et de là firent route pour Genève.

Après le départ du patron Jovas, M. Bonijoli se prépara à nous faire partir. Il loua trente-six mules pour nous porter à ses frais jusqu’à Turin, avec un guide pour nous y conduire. Nous partîmes donc de Nice, au commencement de juillet. Nous traversâmes avec beaucoup de fatigues quantité d’affreuses montagnes, nommément celle qu’on appelle col de Tende, dont la cime est si haute, qu’elle paraît toujours être dans les nues et quoique nous fussions dans le plus chaud de l’été et qu’au bas de cette montagne on brûlât de chaleur, étant arrivés sur sa cime nous souffrions un tel froid qu’il nous fallut descendre de cheval et marcher pour nous réchauffer. La neige est toujours là d’une hauteur prodigieuse. Cependant, on n’a pas de peine à monter cette montagne, toute haute et escarpée qu’elle est, car elle a trois lieues de montée et l’on y a pratiqué un chemin fort commode, en zigzag, par lequel on monte sans s’apercevoir de la roideur de la montagne. Nous la