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la vie aux galères

venir à notre rencontre trois carrosses entourés de hallebardiers et une foule innombrable de peuple de tout sexe et de tout âge, qui suivait les trois carrosses. D’aussi loin qu’on nous vit, un serviteur du magistrat s’avança vers nous et nous pria de mettre pied à terre pour saluer avec respect et bienséance Leurs Excellences de Genève, qui venaient à notre rencontre pour nous souhaiter la bienvenue. Nous obéîmes. Les trois carrosses s’étant approchés, il sortit de chacun un magistrat et un ministre qui nous vinrent tous embrasser avec des larmes de joie et avec des expressions si pathétiques de félicitations et de louange sur notre constance et notre résignation qu’elles surpassaient de beaucoup ce que nous méritions. Nous répondîmes en louant et magnifiant la grâce de Dieu, qui seule nous avait soutenus dans nos grandes tribulations. Après ces embrassements, Leurs Excellences donnèrent permission au peuple d’approcher. On vit alors le spectacle le plus touchant qui se puisse imaginer, car plusieurs habitants de Genève avaient divers de leurs parents aux galères et ces bons citoyens ignorant, si ceux pour qui ils soupiraient depuis tant d’années étaient parmi nous, dès que Leurs Excellences eurent permis à ce peuple de nous approcher, on n’entendit qu’un bruit confus : « Mon fils, un tel, mon mari, mon frère, êtes-vous là ? » Jugez des embrassements dont furent accueillis ceux de notre troupe qui se trouvèrent dans le cas. En général, tout ce peuple se jeta à notre cou avec des transports de joie inexprimables, louant et magnifiant le Seigneur de la manifestation de sa grâce en notre faveur et lorsque Leurs Excellences nous ordonnèrent de monter à cheval pour faire notre entrée dans la ville, nous ne pûmes y parvenir qu’avec peine, ne pouvant nous arracher des bras de ces pieux et zélés frères, qui semblaient avoir encore peur de nous reperdre de vue. Enfin, nous remontâmes à cheval et suivîmes Leurs Excellences, qui nous conduisirent comme en triomphe dans la ville.

On avait fait à Genève un magnifique bâtiment pour y alimenter les bourgeois qui tombaient en nécessité. Cette