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la vie aux galères

juste de nous élargir. Mais par malheur, ce soir-là était jour de courrier pour Paris et pendant qu’on nous avait conduits en prison, le gouverneur avait écrit en Cour notre détention. Ce contre-temps fit qu’il ne pouvait plus nous délivrer sans ordre de ladite Cour. Le major fut mortifié de cet obstacle et pria le gouverneur de nous faire sortir de cet affreux et infâme cachot et de nous donner toute la maison du geôlier pour prison. Il poserait une sentinelle à la porte pour nous observer et il répondait sur sa tête que nous ne nous évaderions pas. Le gouverneur y acquiesça, et nous n’avions pas resté une heure dans ce cachot que le major revint à la prison avec un caporal et une sentinelle, à laquelle il nous consigna, et ordonna que nous fussions libres dans toute la maison du geôlier, nous choisissant lui-même une chambre pour nous y coucher. De plus, il donna le peu d’argent que nous lui avions remis au geôlier, lui ordonnant de nous nourrir, pour autant que cet argent durerait, ne voulant pas qu’on nous donnât le pain du roi[1], en attendant le tour que notre affaire prendrait. Il nous annonça, en nous témoignant son chagrin, que le gouverneur avait déjà écrit en Cour notre détention, mais qu’il travaillerait de son mieux avec le gouverneur, de qui il en avait parole, à ce que notre procès-verbal nous fût favorable. Ce bon traitement du major nous consola. Bientôt après, le gouverneur envoya en Cour le procès-verbal, qui était fort en notre faveur. Mais la déclaration que nous avions faite, que nous étions de la religion réformée, anima si fort contre nous le marquis de la Vrillière[2], ministre d’État, qu’il ne voulut faire aucune attention sur les apparences, qui étaient contenues dans ce procès-verbal, que nous n’avions aucun dessein de sortir du royaume, et qu’il ordonna au gouverneur de Ma-

  1. Les prisonniers recevaient par jour une livre et demie de pain et une cruche d’eau à moins qu’ils ne fussent à la pistole, c’est-à-dire payassent leur nourriture.
  2. Louis Phelypeaux, comte de Saint-Florentin, marquis de la Vrillière (1672-1725) était spécialement chargé des Affaires générales de la religion réformée. Son hôtel est devenu la Banque de France.