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la vie aux galères

rienbourg de nous faire notre procès pour nous condamner aux galères, comme nous étant trouvés sur les frontières sans passeport : que cependant le curé de Marienbourg ferait tous ses efforts pour nous ramener au giron de l’Église romaine ; que, s’il y réussissait, après qu’on nous aurait instruits et fait faire abjuration, on pourrait, par grâce de la Cour, nous élargir et nous faire reconduire à Bergerac. Le major nous fit lire l’original même desdits ordres du marquis de la Vrillière. « Je ne vous conseillerai rien, nous dit-il, sur ce que vous devez faire ; votre foi et votre conscience vous doivent déterminer. Tout ce que je puis vous dire, c’est que votre abjuration vous ouvrira la porte de votre prison. Sans cela, vous irez certainement aux galères. » Nous lui répondîmes que nous mettions toute notre confiance en Dieu ; qu’il ne fallait pas qu’on crût que c’était par entêtement ou opiniâtreté que nous tenions ferme ; que c’était, Dieu merci, par connaissance de cause, et que nos parents avaient pris tous les soins possibles de nous instruire de la vérité de notre religion et des erreurs de la religion romaine, pour professer l’une et éviter de tomber dans les précipices de l’autre. Nous le remerciâmes très affectueusement des peines qu’il s’était données pour nous rendre ses bons offices, et l’assurâmes que, ne pouvant par d’autres moyens, lui en témoigner notre gratitude, nous prierions toujours Dieu pour lui. Ce bon major, qui était dans le fond du cœur protestant comme nous, mais avec un extérieur romain, nous embrassa tendrement, nous avouant qu’il se sentait moins heureux que nous, et se retira pleurant à chaudes larmes, et nous priant de ne pas trouver mauvais qu’il ne nous vît plus, n’en ayant pas le courage.

Cependant, notre pistole, qui avait été remise au geôlier, finit. On nous mit à une livre et demie de pain par jour, qui est le pain du roi. Mais le gouverneur et le major nous envoyaient tous les jours, tour à tour, suffisamment à boire et à manger. Le curé, qui espérait de nous faire prosélytes, et les religieuses d’un couvent, qui était dans la ville, nous envoyaient aussi très souvent à manger, si bien qu’à notre