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une condamnation aux galères

sur ses droits dans son diocèse, et je vous ordonne de sa part de sortir d’ici pour n’y plus rentrer. » Le grand vicaire sortit en effet et n’y revint plus, mais ayant fait son rapport à son évêque, et l’évêque ne voulant pas avoir le démenti de nous faire visiter, pria le procureur général du Parlement de nous faire transférer dans les prisons de la ville, qui étaient de son diocèse, ce qui lui fut accordé. Nous voilà donc aux prisons du Beffroi, où nous étions infiniment mieux qu’à celle du Parlement.

Plusieurs protestants, notables bourgeois de Tournai, avaient la permission de nous faire visite. Ils graissaient la patte au geôlier qui, à leur sollicitation, nous ouvrait tous les matins notre cachot, pour nous faire prendre l’air dans une petite cour tout proche pendant quelques heures et bien souvent jusqu’au soir. Là, nos zélés amis nous venaient voir souvent, nous consolant de leur mieux et nous exhortant à la persévérance. Le grand vicaire Régnier les y trouvait souvent, sans jamais s’en être formalisé. Au contraire, il leur faisait civilité, et lorsque, par respect, ces personnes charitables voulaient se retirer, il les priait instamment de rester et d’entendre notre conversation, et j’ose dire que ces bons protestants étaient ravis d’entendre la manière dont nous nous défendions dans ces controverses, comme aussi de la douceur et de la bénignité avec laquelle ce grand vicaire nous exposait ses prétendues preuves. Souvent, après une heure ou deux de disputes, qui ne concluaient jamais rien, il faisait apporter une bouteille de vin et nous la buvions ensemble comme de bons amis, sans parler de religion. Après cela, il diminua peu à peu ses visites, si bien qu’il ne nous venait voir que de huit en quinze jours, et enfin il nous laissa tout à fait en repos, et depuis pas un prêtre ni moine ne nous vint incommoder, ce qui nous faisait grand plaisir.

Un jour, sur les neuf heures du matin, nous vîmes entrer dans notre cachot cinq personnes que le geôlier y vint mettre, et puis se retira. Nous nous mîmes à nous regarder les uns les autres tellement que nous reconnûmes trois de ces messieurs pour être de Bergerac, mais nous ne con-