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la vie aux galères

espèce, condamnés pour divers crimes, nous ne pûmes savoir leur nombre qu’en le leur demandant, car nous ne nous voyions pas l’un l’autre. Leur premier compliment fut de nous demander la bienvenue sous peine de danser sur la couverture. Nous aimâmes mieux donner deux écus de cinq livres pièce, à quoi ces scélérats nous taxèrent sans miséricorde, que d’éprouver cette danse. Nous la vîmes exercer deux jours après à un misérable nouveau venu qui la souffrit plutôt par disette d’argent que par courage. Ces malheureux avaient une vieille couverture de serpillière[1], sur laquelle ils faisaient étendre le patient ; et quatre forçats des plus robustes prenaient chacun un coin de la couverture l’élevant aussi haut qu’ils pouvaient, et la laissaient tomber ensuite sur des pierres, qui faisaient le plancher du cachot, et cela par autant de reprises, que ce malheureux était condamné, suivant son obstination à refuser l’argent à quoi on le taxait. Cette estrapade me fit frémir. Ce malheureux avait beau crier ; il n’y avait aucune compassion pour lui. Le geôlier même, à qui va tout l’argent que cet exécrable jeu produit, n’en faisait que rire. Il regardait par le guichet de la porte et leur criait : « Courage, compagnons ». Ce misérable était tout moulu de ses chutes, et on crut qu’il en mourrait. Cependant il se remit.

Quelques jours après, j’eus à mon tour une terrible épreuve à essuyer. Tous les soirs, le geôlier et quatre grands coquins de guichetiers, accompagnés du corps de garde de la prison, venaient faire la visite du cachot, pour voir si nous ne faisions pas quelques tentatives pour nous évader. Tous ces gens-là, au nombre d’une vingtaine, étaient armés de pistolets, d’épées et de baïonnettes au bout du fusil. Ils visitaient ainsi les quatre murailles et le plancher fort exactement pour voir si nous n’y faisions pas quelque trou. Un soir, après qu’ils eurent fait la visite, et

  1. Grosse toile dont les marchands se servent pour emballer leurs marchandises.