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une condamnation aux galères

heures. Une demi-heure après, le guichetier me porta du pain et de l’eau qu’il mit par le guichet dans le cachot. Je lui rejetais sa cruche et son pain, en lui disant : « Va dire à ton bourreau de maître que je ne boirai ni ne mangerai que je n’aie parlé au grand prévôt. » Le guichetier s’en alla, et dans moins d’une heure le geôlier vint seul avec une chandelle à la main, sans autre arme qu’un trousseau de clefs, et ouvrant la porte du cachot, il me dit fort doucement de le suivre en haut. J’obéis. Il me mena dans sa cuisine. J’étais sale, plein de sang, qui m’avait coulé par le nez, et d’une contusion à la tête sur les escaliers de pierre. Le geôlier me fit laver mon sang, me mit un emplâtre sur ma contusion, et ensuite me donna un verre de vin de Canarie, qui me refit un peu. Il me fit une petite réprimande touchant la chandelle du guichetier, et m’ayant fait déjeuner avec lui, il me mena dans un cachot de sa cour, sec et clair, me disant qu’il ne pouvait plus me remettre avec les autres galériens, après ce qui s’était passé. « Donnez-moi donc mon camarade avec moi, lui dis-je. — Patience, dit-il, tout viendra avec le temps. » Je restai quatre ou cinq jours dans ce cachot, pendant lesquels le geôlier m’envoyait tous les jours à dîner de sa table. Il me proposa un jour de nous mettre, mon camarade et moi, dans une chambre de sa prison où il y aurait un bon lit et toutes les commodités requises, moyennant deux louis d’or par mois. Nous n’étions pas fort pourvus d’argent : cependant je lui offris un louis et demi jusqu’au temps que la chaîne partirait. Il n’en voulut rien faire. Un jour, il me dit que mon camarade l’avait fort prié de me remettre avec lui et qu’il lui avait promis de le faire. « Hé bien, lui dis-je, descendez-le ici avec moi. — Non, dit-il, il faut que vous retourniez avec les autres galériens dans la tour de Saint-Pierre. » Je vis bien qu’il nous voulait mettre dans la nécessité de lui donner les deux louis d’or par mois pour nous mettre en chambre ; mais, consultant notre bourse, et considérant que, si la chaîne ne partait que dans deux ou trois mois, nous ne pourrions y subvenir, je me tins ferme à l’offre que je lui avais faite. Il me remit