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Page:Marteilhe - La vie aux galères, 1909.djvu/66

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la vie aux galères

ainsi du second et du troisième ; et lorsqu’il trouvait à propos de faire repaître la chiourme, c’était sa coutume de dire au comite : « Holà, bourreau, fais donner l’avoine aux chiens. » C’était pour faire distribuer les fèves à la chiourme. Je ne sais s’il tirait cette comparaison que les chiens ne peuvent manger l’avoine, de même que les forçats ne peuvent qu’avec grand’faim mâcher ces fèves qui sont très mal cuites et dures comme des cailloux, sans autre apprêt que le nom d’un peu d’huile et quelque peu de sel, dans une grande chaudière, qui contient cinquante petits seaux de cet exécrable bouillon. Pour moi, dans ma plus grande faim, j’aimais mieux tremper mon pain dans l’eau pure avec un peu de vinaigre, que de le manger avec ce bouillon, qui fait boucher le nez avec sa mauvaise odeur. C’est pourtant tout l’aliment qu’on donne aux forçats : du pain, de l’eau et ces fèves indigestes, dont chacun reçoit quatre onces, lorsqu’elles sont bien partagées et que le distributeur n’en vole pas[1].

En parlant de ce rude travail de la rame, il faut pourtant dire que ces occasions de forcer la chiourme n’arrivent pas fréquemment ; car si cela était, tous crèveraient bientôt. On épargne la chiourme lorsqu’on prévoit qu’on aura besoin de ses forces, tout comme un charretier épargne ses chevaux pour le besoin. Par exemple, lorsqu’on se trouve en mer avec un vent favorable, alors on fait voile et la chiourme se repose, car la manœuvre des voiles n’est que pour les matelots et gens libres. De même, lorsqu’une galère fait route d’un port à un autre et que la distance est de vingt-quatre heures ou plus, pour lors on fait ce qu’on appelle quartier, c’est-à-dire que la moitié de la galère rame une heure et demie, et l’autre moitié se repose pendant ce temps-là, et ainsi alternativement. On entend bien que cette moitié qui rame est la moitié des deux côtés de

  1. On faisait ce bouillon de fèves au fougon, cuisine placée à gauche, là où était le huitième banc mobile. En voici la recette : une cuillerée de fèves, 30 onces de biscuit, un quart d’once d’huile. Cela coûtait six sols à l’État. (Auguste Laforêt. Étude sur la marine des galères, 59.)