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le cañon du tarn. – d’ispagnac à sainte-énimie

lambeau de campagne plane, étonné de se trouver enfoui entre des escarpements si farouches. Avant Prades, une longue muraille de la rive droite répète avec une incroyable netteté jusqu’à sept syllabes consécutives : c’est un des plus remarquables échos de toute la gorge.

En face de Prades, on hèle une barque pour franchir le Tarn et atterrir au village. On a là une vue ravissante, et l’on suit au loin l’eau miroitante de la rivière sinueuse encaissée entre d’énormes éperons de rochers.

La margoule (poule d’eau) rase l’eau sous le couvert des branches basses ; le martin-pêcheur rafraîchit d’un rapide plongeon les vives couleurs de sa livrée ; la truite aux reflets d’argent saute après les insectes, et le rayonnant soleil du Midi dore comme d’une patine d’antiquité les fausses ruines suspendues 500 mètres plus haut !

Prades (448 hab. la comm., 247 aggl.), haut perché sur un roc massif, dégringole à la rivière en une ruelle que des rochers encaissent et que les orages changent en torrent.

En 1238, Éraclée, prieur de Sainte-Énimie, revendiqua le château de Prades comme poste avancé, défense nécessaire de son prieuré. Droit fut fait à sa requête. Sage concession, car le riche monastère de Sainte-Énimie n’échappa au pillage de Merle, en 1581, que grâce à l’héroïque défense de son prieur Fages, enfermé à Prades. Fages fut blessé d’une arquebusade au bras ; mais les huguenots ne purent passer outre. Le vieux et lourd château n’a plus rien d’intéressant.

Au pied du rocher se trouvent une belle source, un moulin et un barrage.

Les environs produisent du bon vin, et c’est merveille de voir avec quelle patience les cultivateurs soutiennent leurs vignes dans le talus raide des causses, au moyen de petits murs de pierres appelés payssels.

Encore 6 kilomètres de route pour atteindre Sainte-Énimie ; mais elle s’élève trop, cette route, et combien le parcours en bateau est supérieur en beauté ! Les flancs du causse de Sauveterre deviennent sauvages comme ceux du causse Méjean. De gros rochers découpés se dressent à chaque contour. Les dolomies donnent là une idée de ce qu’elles offriront dans les parages de la Malène. Sur la gauche, le rocher des Écoutaz ou des Égoutals doit son nom soit à un écho moins surprenant que celui de Prades, soit aux gouttes d’eau qui suintent de ses encorbellements. Puis la Tiaulas, grande falaise rouge plongée dans la rivière et taillée en plate-forme, est bien la halte la plus propice pour jouir du panorama subitement développé du cirque de Sainte-Énimie.

Si blasé que soit un touriste, l’entrée de cet abîme, qu’il débouche par la route de Prades ou qu’il arrive par celle du causse, lui donnera toujours une certaine émotion.

« Restons un instant à la Tiaulas : au premier plan, entourée de verdure, est une jolie nappe d’eau formée par un barrage, puis un large pont du xviie siècle ; au-dessus, sur les pentes des deux rives, la petite ville de Sainte-Énimie. À gauche, un ravin couronné d’arbres, dans lequel grimpe la route de voitures du causse Méjean ; à droite, dominant le beau courant d’eau de la célèbre fontaine de Burle, se montre un grand bâtiment qui a remplacé l’antique monastère en partie détruit ; plus haut, plaqué contre une falaise rouge, le petit ermitage tout blanc de Sainte-Énimie, et plus près, une grande partie du grand ravin du Bac, escaladé par la route de voitures du causse de Sauveterre ; entre les deux causses, au milieu de vergers, de bouquets d’arbres, de vignes, le Tarn qui brille au soleil ;