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les cévennes

au loin, en aval, les hauteurs qui font face à Pougnadoires ; en amont et tout près, les grandes roches façonnées en tours et en aiguilles du Prunet, Par le soleil, le site est charmant et magnifique ; par l’orage, il devient terrible ». (A. Lequeutre.)

Si la partie supérieure du cañon ne possédait pas le portait d’Ispagnac, Rocheblave et Castelbouc, un seul point devrait être adopté pour accéder au Tarn : là. descente à Sainte-Énimie par la route de Mende et le ravin du Bac ; après la traversée du causse de Sauveterre, l’impression produite par cet à-pic est indéfinissable. On a vu, dans les meilleures voitures et sur cette voie excellente, des personnes réellement atteintes de vertige au contour des lacets qui les précipitaient vers le Tarn. Ce mot de Sidoine Apollinaire : « J’ai vu une ville dans un puits, » sublimem vidi urbem in puteo, s’applique très probablement à Sainte-Énimie. Et les réformateurs qui, en 1793, dénommaient Mont-Libre la place forte de Mont-Louis (Pyrénées-Orientales) étaient certes plus heureux dans leur correction en baptisant Puits-Roc la petite ville du Tarn. « Elle est située dans un endroit affreux… et l’on n’en peut approcher que par des chemins pratiqués au milieu des rochers. » (Piganiol de la Force, Description de la France, édit. de 1753.)

Il nous paraît intéressant de rapporter l’impression d’une voyageuse anglaise bien connue, qui, dans un livre tout récent, a consacré quelques chapitres au pays des Causses[1]. Il s’agit de l’arrivée par la route de Mende.

« La vue devient grandiose au-delà de toute expression ; puis la magnificence atteint son paroxysme, alors que notre route commence à sombrer littéralement vers Sainte-Énimie, toujours invisible. Notre course doit dès lors se comparer à la descente en ballon du pays des nuages. En même temps, le prodigieux panorama des murailles sombres, superbement esquissées, se rétrécit. Il nous semble être parvenus à la limite du monde. Devant nous se lève le majestueux causse Méjean, rempart titanesque, aperçu ici pour la première fois ; alentour s’arrondissent de pli en pli les hauteurs du Sauveterre, les revers proches verts et brillants de plaques soleilleuses, les lointains d’un noir empourpré. C’est un étonnant spectacle ; — murs sur murs de puissant calcaire, semblables à une infranchissable barrière, se referment autour de nous, menaçant de dérober la vue du ciel même ; à nos pieds se creuse une passe montagneuse ou vallée, de plus en plus étroite, aux bancs de roche dressés verticalement.

« Enfin quand, de la vertigineuse hauteur, notre cocher nous fait baisser le regard, nous discernons les toits gris de Sainte-Énimie incrustés bien bas dans les compacts escarpements, — la petite ville gisant immédiatement sous nos pieds comme les rues environnant Saint-Paul vues de son dôme. Nous nous disons que jamais nous ne pourrons arriver là. Descendre ces falaises perpendiculaires semble un exploit inexécutable. Il ne s’agit pas de contempler la route à prendre, s’enroulant comme un ruban autour de la base verticale du Causse. Il faut la suivre. Nous sommes bien haut dans le monde inhabité, dans le pays des nuages ; il n’y a qu’à descendre de notre mieux ; aussi nous nous fions à notre bon conducteur et à ses solides chevaux, obligés de suivre au pas les contours aigus de la route. Et, tronçon par tronçon, sans savoir comment, l’horizontal zigzag est parcouru. Enfin nous sommes en bas…

« Comment décrire le pittoresque inimaginable de cette petite ville enchâssée

  1. Mme Betham-Edwards, the Roof of France (le Toit de France), voyage en Auvergne et aux Cévennes, Londres, Bentley, 1889, pet. in-8o, 327 p.