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la vallée de la jonte

tionnée, et n’attendant plus qu’un chêne ou tel autre grand arbre pour figurer un vase de portique[1]. Quant aux arcades, aux ponts, aux fenêtres, aux aiguilles, aux accidents de tout genre, ils sont innombrables. Mais je préfère de beaucoup les rochers de la vallée du Tarn, plus simples d’allure, et dont les détails souvent bizarres sont atténués par la majesté de l’ensemble. Dans la vallée de la Jonte, les jeux de la pierre prêtent souvent à rire, dans le cañon du Tarn, jamais. » (A. Lequeutre.)

Cette appréciation un peu sévère cesse d’être partagée quand on a fait les promenades des Corniches (Saint-Michel et Capluc).

Le cañon étant boisé et très profond, les habitants ont trouvé un moyen ingénieux de faire franchir, sans perte de temps et sans grande fatigue, la coupure de la rivière aux fagots qu’ils vont chercher sur la rive gauche ; un épais fil de fer est tendu du haut en bas de la vallée ; on y suspend le fagot ; un homme, au moyen d’un bâton, frappe ce fil et fait peu à peu descendre le fardeau jusqu’à la route ; ce procédé est usité de temps immémorial dans les Cévennes (autrefois on se servait de cordes). Du reste, les Cévenols ont toujours été très industrieux, et il paraît que dans les monts Lozère les charretiers ont l’habitude de se servir de la boussole les jours de brouillard ou de neige.

Au bord de la Jonte et au pied du rocher de Saint-Michel, appelé aussi le Pater, se trouve un petit gisement de lignite peu important. La couche de charbon n’a que 0m,15 d’épaisseur ; les procédés d’extraction sont très primitifs. Chaque propriétaire creuse sa petite galerie et l’exploite pour sa propre consommation.

Du hameau du Truel se détache vers la gauche la route intermittente (V. p. 77) qui monte à Saint-Pierre-des-Tripiers.

Après le Mainial, on ne tarde pas à tourner brusquement au nord et à se trouver en face du magnifique rocher de Saint-Gervais, détaché du causse Méjean : C’est, dans toute la région des Causses, la plus grosse tour ronde que l’action des eaux anciennes ait séparée de la masse d’un plateau. Sur un talus pyramidal, cette tour s’élève à 300 mètres au-dessus de la Jonte, au débouché du ravin des Bastides, le seul du causse Méjean où coule quelquefois un ruisseau. Le hameau des Douzes étale ses huit maisons à la base, et la chapelle Saint-Gervais couronne son sommet. Vu à la distance de 1 kilomètre, c’est un charmant décor.

La chapelle romane bien conservée de Saint-Gervais est un lieu de pèlerinage célèbre dans toute la contrée. Là se rendent en foule, le 19 juin, les populations des paroisses environnantes, tandis que les bergers conduisent leurs troupeaux sur le penchant des abîmes voisins, en vue même de la chapelle. Après avoir dit une messe solennelle, un prêtre placé au sommet du rocher promène le goupillon vers les quatre points cardinaux, et appelle les bénédictions du Ciel sur les hommes, les bestiaux et les fruits de la terre.

C’est un spectacle saisissant que cette multitude couvrant toutes les aspérités de la grande roche et ces troupeaux suspendus sur des précipices.

Un cimetière entoure le sanctuaire : pour y porter en terre les morts de la vallée, par les sentiers à peine tracés, on les monte dans de simples sacs, et la mise en bière n’a lieu qu’au bord même de la fosse.

Saint-Gervais et Saint-Michel sont les points les plus pittoresques et les plus sauvages des gorges de la Jonte.

  1. C’est le Vase de Sèvres.