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la vallée de la jonte

caverne : deux dévoués vont la chercher, la mettent en pièces, et voilà les voûtes et parois de la grande salle de Nabrigas qui étincellent aux lueurs d’un feu d’enfer. Vite le sommeil nous a allongés en cercle autour du brasier. Mais à 6 heures du matin, autre incident : un malaise étrange nous réveille. Nous commencions bel et bien à suffoquer, enfumés comme des renards, et de nos propres mains !

Cette fois, fuyant l’asphyxie, nous levâmes le camp, avec armes, bagages et butin ; nous ne tenions pas à induire en erreur les fouilleurs futurs, en leur faisant prendre nos quatre personnes pour les restes de troglodytes antédiluviens. C’eût été pousser un peu loin l’amour de la préhistoire. Dehors, l’averse avait cessé, et à travers les brouillards clairsemés, qui s’évanouissaient paresseusement, le soleil levant mettait des perles d’arc-en-ciel à tous les brins d’herbe encore lourds de gouttes de pluie.

Voilà comment la région des Causses offre toutes les variétés de sports : pêche et chasse, équitation et marche à pied, découvertes géographiques et scientifiques. N’a-t-on pas raison de dire que c’est un pays privilégié ? Et, certes, les fouilles dans les cavernes n’en sont pas le moins curieux côté.

Mais laissons parler M. Jeanjean, le géologue et archéologue distingué de Saint-Hippolyte (Gard) :

« Les rochers abrupts situés à droite de la Jonte, en aval de Meyrueis, présentent, outre la caverne de Nabrigas, plusieurs cavités… Arrivés à Sourbettes… au pied des escarpements dolomitiques, mon guide me conduisit immédiatement par un étroit sentier à la grotte obscure, dont l’ouverture triangulaire est cachée par des touffes de chênes blancs et d’arbustes épineux. À 6 mètres de l’entrée, on voit une grande salle, à laquelle succède une vaste galerie un peu inclinée, dont le sol est recouvert d’immenses rochers. Le fond de cette galerie communique, par un étroit couloir perpendiculaire, avec une autre cavité décorée de stalactites et où se trouvent aussi des rochers amoncelés. Je fis des recherches dans la grande salle, près de l’ouverture, où je rencontrai des restes de feu, des ossements d’animaux vivant actuellement, et des poteries dont les unes appartiennent à l’âge de la pierre polie, tandis que d’autres, de couleur rouge, ont été fabriquées au tour et portent un vernis noir, comme les vases de l’époque gauloise. La galerie qui fait suite à cette salle doit renfermer également des débris de l’industrie primitive, car j’y ai rencontré l’empreinte dans la stalagmite d’un vase enlevé précédemment.

« Plus près de Meyrueis, entre Sourbettes et le Capelan, se trouve la caverne de Couderc, appelée aussi grotte du Lac ou de la Cave, qui a été l’objet de travaux considérables exécutés par M. Poujol et les frères de Meyrueis. Cette grotte, dont l’ouverture a été murée en partie, afin qu’elle pût servir de bergerie, présente deux belles galeries, séparées par un passage fort étroit, de 5 mètres de longueur. La terre noirâtre de la première galerie devait contenir avant les fouilles beaucoup d’objets de notre industrie ; je n’y ai recueilli moi-même que des fragments de poterie, la plupart de l’époque néolithique ; mais M. Poujol y a trouvé plusieurs vases entiers, des os travaillés, une hache polie en chloromélanite, des polissoirs, des pierres percées, ainsi que des objets de l’époque gallo-romaine, tels que poteries, épingles et fibules en bronze. La seconde galerie, toujours fort humide, présente près du fond une cavité peu profonde remplie d’eau ; si l’on brise la stalagmite aux environs de ce petit lac, on trouve le diluvium bien caractérisé, avec de nombreux ossements d’Ursus spelæus, j’ai pu extraire ainsi, en très peu