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les cévennes

de fines colonnes stalagmitiques, est un des plus jolis recoins de toute la grotte de Dargilan : Transept, Abside (n° 30), Maître-Autel (31), Chaire (32), Tribune (33), Grands Orgues (34), rien ne manque pour compléter l’illusion produite par la disposition naturelle des cristallisations ; il faudrait seulement que la voûte fût un peu plus élevée : telle qu’elle est, néanmoins, la perspective de l’Église vue de la Galerie carrée (n° 35), qui tient lieu de porche, est un tableau d’une grâce et d’une originalité idéales. Au bout de la galerie carrée, autre surprise. Une lucarne s’ouvre sur le vide noir : c’est la bouche du puits de la Falaise (n° 36), vertical et profond de 20 mètres. Si nous n’avions pas eu l’échelle de corde, la route se fût ici complètement fermée : nous entendions les pierres jetées par la lucarne tomber dans l’eau. Longs et minutieux furent nos préparatifs de descente dans ce ténébreux inconnu ; la longue échelle oscillante ne touche pas le sol, et cependant nous atteignons sans peine le bord d’une rivière de plus de 120 mètres de longueur. La rivière, issue d’un conduit invisible, franchit trois salles beaucoup plus élevées que larges, celle de la Falaise (haute de 50 m. au moins) et les deux de la Rivière ; puis elle s’enfuit en tapinois comme elle est venue, sans doute pour filtrer à travers la nappe d’argile qui lui sert de lit et pour sourdre en fontaine inaccessible dans la paroi extérieure du causse. Si l’on veut pousser au-delà de la salle de la Falaise (ainsi nommée à cause de la verticalité absolue d’une de ses parois), la fatigante posture du quadrupède et le bain de pieds intégral deviennent inévitables : mais la peine n’est pas perdue, car un dernier rameau se greffe à angle droit sur celui de la rivière et s’élargit en deux belles salles rondes de 30 mètres de diamètre et 20 mètres de hauteur, auxquelles leurs principales stalactites ont valu les appellations de salles des Pieuvres et du Balcon (nos  39 et 40). La galerie du Cul-de-Sac termine la branche de l’est (V. le plan et la coupe) à 100 mètres en dessous de l’entrée de la caverne. Toutefois il se pourrait qu’en déblayant les amas d’argiles ou de pierres éboulées et en perforant les parois de carbonate de chaux qui nous ont arrêtés on découvrît encore une longue série d’autres curiosités ; mais, à cette profondeur et avec la difficulté d’accès de cette branche, le travail serait terriblement long, pénible et coûteux

On devine, par ce qui précède, les émotions et les transports d’admiration que nous éprouvâmes durant les huit heures consécutives où nous nous enfonçâmes ainsi dans la branche orientale, d’étonnements en éblouissements, et de puits inconnus en salles nouvelles. Et cela n’était rien encore auprès de la branche de l’ouest, qui mesure 1,600 mètres de développement, tandis que celle de l’est n’en a que 620 : aussi passâmes-nous deux jours entiers à fureter dans les replis de cette troisième division de la grotte de Dargilan.

Six puits ou couloirs à très forte pente y descendent, tous pratiqués sous les éboulis effrayants formés par les blocs énormes de dolomie détachés des voûtes de la grande salle ; tous, par suite, d’un abord difficile, sans toutefois qu’aucun appareil de gymnastique y devienne nécessaire ; il suffit de mains et de pieds de montagnards bien exercés.

L’un de ces puits traverse la petite salle de l’Homme Mort (n° 42), où une remarquable stalagmite représente à s’y méprendre un cadavre étendu sur un matelas et recouvert d’un linceul. Tous les six convergent vers l’étroit carrefour du Labyrinthe (n°43); de là, on ne tarde pas à gagner, par des fissures désagréables aux personnes douées de quelque embonpoint, la galerie de la Corde ; ici, l’inclinaison et le poli du rocher exigent, tant pour la descente que pour la remontée,