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l’assistance d’une corde de 30 mètres de longueur. Enfin, l’espace s’élargit, le plafond s’élève : nous arrivons à la salle de la Grande Cascade, haute et large de 30 à 40 mètres, constellée et miroitante comme toutes les autres. Au sud, deux fissures se présentent, l’une étroite et basse qui va servir de passage, l’autre large et élevée, mais barrée de rocs infranchissables ; sur la paroi orientale, légèrement convexe, de cette dernière, un sculptural revêtement de fines cannelures et d’artichauts délicatement fouillés s’étend comme un mur de corail blanc sur 100 mètres de longueur et 40 mètres de hauteur : c’est la Grande Cascade, véritable rivière suspendue et fixée comme par la gelée au front d’un précipice : Adelsberg même n’a rien de semblable à cette luxueuse et artistique draperie, au bout de laquelle les salles des Deux Lacs et de la Fontaine (de dimensions analogues à celles de la précédente) possèdent trois bassins et une source vive : ces eaux encore s’écoulent par des tubes de quelques centimètres de diamètre. À toutes les guirlandes et pendeloques du Lustre (n° 48) il faut fixer de nombreuses bougies, et monter ensuite à califourchon sur le dos du Chameau (46), pour admirer dans toute leur beauté la Grande Cascade et les coupoles qui l’encadrent.

Notre première exploration de la branche occidentale s’était arrêtée à l’impasse du Fuseau, au sud de la Fontaine, et le résultat acquis nous avait amplement satisfaits : or il nous restait à découvrir la merveille par excellence de la caverne entière. Elle fut dénichée par mon cousin Marcel Gaupillat.

Car, dans une deuxième visite, employée à corriger les mesures et le plan, il eut l’idée de défoncer à coups de masse une paroi de cette impasse, où une sorte de grillage de stalagmites formait des barreaux entre lesquels on glissait à peine le doigt. Une fois le grillage volé en éclats, l’étroit passage du Boyau s’ouvrit à nous, laborieux à suivre assurément, mais qui, par la galerie du Clocher, nous mit subitement en présence de la plus belle masse sculptée que possède peut-être aucune grotte du monde : en vrai coup de théâtre, la stalagmite du Clocher (V. la gravure) s’offrait à l’œil humain pour la première fois et dans toute sa virginité, haute de 20 mètres, élégante, ciselée à jour, comme la flèche terminale de Strasbourg, et majestueusement isolée au fond du cadre grandiose d’une salle haute de 30 mètres et longue de 40 ; l’éclat de la lumière électrique faisait briller comme un pur diamant la svelte et fière pyramide, dont aucune torche ou bougie n’avait encore terni la scintillante blancheur, dont aucun marteau ou doigt profane n’avait jusqu’ici détruit un seul clocheton ni déchiré la plus délicate dentelle[1]. Nous ne voulûmes pas, premiers spectateurs de ce chef-d’œuvre, en briser le moindre fragment, quelque tentés que nous fûmes d’en détacher au moins une arabesque, et nous en fîmes, respectueux et muets, le tour et l’examen discret, comme s’il se fût agi d’une idole orientale vénérée.

Et la grotte ne finissait pas là ! Derrière le Clocher, un balcon dominait un vaste parterre tout jonché de stalagmites en forme de croix, de colonnes brisées et d’urnes funéraires : « Le Cimetière ! » criâmes-nous tous ensemble en nous précipitant en bas du balcon. Au-delà venait la salle des Vasques, où de grandes coupes gardaient l’eau distillée des voûtes, hautes comme partout de 20 à 30 mètres. À angle droit, vers le sud, deux puits, faciles à descendre, tombent dans la salle qui leur doit son nom, galerie rectangulaire longue de 80 mètres,

  1. Dans la grotte d’Arta (Majorque, îles Baléares) la Reine des Colonnes, la plus grande stalagmite connue (25 m.), est plus haute que le Clocher de Dargilan, mais ses formes sont bien moins harmonieuses et ses découpures bien moins fines.