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les cévennes

Ainsi nous ne remontions pas au plateau, mais au moins la journée n’était pas perdue. Nous avions reconnu l’allure de la rivière souterraine, qui s’annonçait comme parcourant en replis plus ou moins sinueux une galerie unique, de hauteur et de largeur à peu près constantes. Y avait-il plus loin un grand réservoir ou lac ? Le faciès du terrain et la rapidité du courant faisaient présumer que non.

Le 28 juin, à 8 heures du matin, diminués de Parguel, mais renforcés de MM. Mély, instituteur, et Michel (Émile), forgeron, tous deux de Camprieu, nous traversons le grand tunnel supérieur, long de 75 à 80 mètres, qui est si facilement accessible. Nous observâmes là pour la première fois qu’à peu près au milieu du tunnel, sur la rive droite, une grande partie du Bonheur s’engloutit dans une fissure basse, absolument impraticable, large de 2 mètres et haute de quelques centimètres. Dans la grotte en retour d’équerre dirigée vers le sud, longue de 60 mètres, large de 15 et haute de 10 à 15, il y a non pas une, mais quatre fentes parallèles qui constituent l’avenc véritable ; dans la première seule l’eau disparaissait ce jour-là : c’est donc la deuxième perte du Bonheur. Les trois autres (troisième, quatrième et cinquième pertes) servent d’écoulements temporaires lors des crues exceptionnelles, comme le prouvent les amas de graviers et de feuilles mortes qu’elles contiennent ; nous avons pu les parcourir toutes trois. Une portion de la première (deuxième perte) s’est trouvée impénétrable, l’eau occupant toute sa section. Ces quatre fentes, dont l’inclinaison est très grande et qui ne sauraient être descendues sans cordes ni échelles, convergent vers une salle triangulaire de 30 mètres de côté, haute de 40 à 50 mètres, et baptisée tout naturellement salle du Carrefour. Sur les côtés de cette salle s’ouvrent deux galeries en cul-de-sac. Sous les éboulis qui forment le sol on entend et on voit couler le Bonheur, occupé à changer son nom en celui de Bramabiau ; son cours continue, caché, dans un boyau parallèle à un couloir coudé et très en pente qui aboutit à un petit lac de 10 mètres de diamètre. En cet endroit, la natation serait le seul moyen de pousser plus loin, si une capricieuse galerie en forme d’Y (la Grande Fourche), ayant 160 mètres de développement total, recevant trois sources émanées du rocher même et en partie occupée par un courant d’eau, ne permettait d’éviter la traversée du petit lac. Toujours descendant de plus en plus, on accède ainsi à l’extrémité occidentale de ce lac, dans une salle elliptique ayant 15 et 20 mètres de diamètre et plus haute encore que celle du Carrefour. C’est la salle du Dôme, où la rivière cesse de couler sous les éboulis et court, je ne dirai pas à l’air libre, mais à flot libre ; elle emplit ensuite un étroit tunnel ; sur les corniches problématiques que lui seul était capable de parcourir, Foulquier, sa bougie entre les dents, s’engagea dans ce tunnel, jusqu’à ce que l’eau le contraignît au retour : pendant ce temps nous découvrions un deuxième système de galeries en Y (la Petite Fourche), qui nous offrait, comme pour le lac, un nouveau contour à pied sec. Pour éviter des redites, je ne veux plus parler de la magie du magnésium sous ces voûtes élancées comme des nefs gothiques ; je demanderai seulement au lecteur de se figurer, s’il le peut, dans cette nuit profonde des grottes, assourdie par le fracas des eaux, l’éparpillement de la caravane en quête des moindres fissures, le vacillement des pâles bougies, les appels lointains et les signaux de cornes ou de sifflets, les cordes tendues et les échelles dressées sur les parois abruptes, les silhouettes grandies par l’ombre et profilées sur l’onde bouillonnante, le tout sous des coupoles de 50 mètres de hauteur ou. au bout d’avenues longues de 100 mètres !