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les cévennes

mélodrame. Tandis que Mély et moi nous nous occupons, pour la clôture de l’opération, de mesurer exactement la grotte et le tunnel, le gros de la caravane porte la nouvelle à Camprieu, où nous rentrons triomphants une demi-heure après. Nous y trouvons l’accueil le plus enthousiaste de MM. de Camprieu, maire, et l’abbé Gruvel, curé du village, et de nos collègues du Club alpin français G. Fabre, le savant géologue, et l’abbé Chanteret, tous deux de passage sur le causse. En revanche, nous étions devenus un manifeste sujet d’étonnement et d’incrédulité pour les habitants de Camprieu. Si Michel (Émile) ne nous eût vus reparaître au Balset au moment où lui-même revoyait le jour ; s’il n’eût attesté nous avoir laissés au milieu des grottes, continuant la descente de la rivière ; s’il n’eût certifié enfin qu’entrés par la perte, nous étions ressortis par la source, personne dans le pays n’aurait cru à la traversée de Bramabiau. À en juger par les pantomimes dénégatives des bons indigènes, j’ai tout lieu de penser que beaucoup nous considérèrent comme ne jouissant pas de la plénitude de notre raison. Aussi, afin que les traversées futures démontrassent bien le parfait équilibre de nos facultés mentales à la date du 28 juin 1888 et confirmassent la saine exactitude de notre découverte, crûmes-nous nécessaire de dresser, séance tenante, en double exemplaire, un procès-verbal descriptif et détaillé, qui fut légalisé par M. de Camprieu et déposé dans les archives de la mairie. (V. ci-après.)

À cet exposé anecdotique des péripéties de notre exploration il convient d’ajouter quelques paragraphes pour achever ce qui concerne le courant caché du plateau de Camprieu.

Et d’abord une comparaison s’impose naturellement, qui résumera, à l’intention spéciale des touristes, l’impression produite par cette traversée et qui donnera la meilleure idée de l’aspect général de cette rivière souterraine.

En effet, rien ne ressemble plus aux galeries intérieures de Bramabiau que les classiques coupures de torrents alpestres appelées gorges en Suisse et en Savoie et klamme en Autriche. Que l’on suppose voûtées à leur sommet les fissures où bondissent le Fier (près Annecy), la Diosaz (près Chamonix), le Trient, la Durnant (près Martigny), la Tamina (près Pfoeffers [Grisons]), l’Ache (Lichtenstein-Klamme, près Gastein), etc., et l’on aura le fidèle portrait des canaux où s’enfouit le Bonheur.

Les données numériques suivantes prouvent la justesse de ce parallèle :

LONGUEUR
de
rivière

ÉCARTEMENT
des
parois

HAUTEUR
ou différence
de niveau

NOMBRE
de
cascades

Gorges de Fier 
250 mètres 4 à 10 mètres 90 mètres (?)
          Diosaz 
1,000         (?) 100         8
          Trient 
750        
(?)
130         (?)
          Durnant 
800        
(?)
(?)
14
          Tamina 
500         8 à 14 mètres 60 à 80 mètres (?)
Liechtenstein-Klamme  
980         3 à 4 mètres 100         (?)
Bramabiau 
700         1 à 6 mètres 90         7

Lorsque, dans un nombre incalculable de siècles, les arcades ogivales qui supportent le plateau de Camprieu se seront affaissées sous l’effort lent, mais continu, des érosions, Bramabiau deviendra une simple klamme, et ses flots s’écoule-