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la vis et l’hérault

300 mètres. Torrents ce sont, et si étendus qu’une Dordogne y pourrait évoluer à l’aise, mais torrents de ballast, où le flux passager d’un ouragan trouble bien rarement la quiétude des sables et des galets solitaires.

Certes, la descente de ces deux autres petits cañons n’aurait rien de charmant ; les sentiers, au surplus, y font totalement défaut. Mais y jeter quelques instants un regard du sommet ou du pied d’un des causses contigus n’est pas un spectacle sans étrangeté, si, par exemple, de la Couvertoirade ou du Caylar, par le château de Sorbs et le ravin du Chevalos, on gagne le confluent de la Virenque et de la Vis pour suivre l’admirable gorge basse de cette dernière jusqu’à Ganges.

Il serait difficile de rencontrer un type plus accompli de champ de cailloux que le lieu où la carte, ici encore en désaccord avec la nature, opère le mélange des flots de la Vis et de la Virenque, par 443 mètres d’altitude. Le site, toutefois, ne manque pas de grandeur.

Un kilomètre plus loin, un joli village (270 hab. la comm., 185 aggl.) a trouvé quelques arbres au bord d’une fontaine : cette fontaine, il l’accapare toute, et l’assoiffé torrent n’en reçoit goutte ; est-ce donc pour le narguer que ce hameau s’est appelé Vissec[1] ? Après les trombes, d’ailleurs, la rivière se venge quelquefois cruellement, emportant tout dans son gonflement subit, court, ravageur !

Au bec de la Virenque, à 443 mètres, commence le cañon de la Vis, profond de 300 mètres, large seulement de 800 à 1,200 mètres au sommet, enfoncé « tantôt entre rocs vifs, tantôt entre talus avec arbustes et oliviers ». Jusqu’à Madières, où il se transforme en vallée largement ouverte, la ligne d’eau a 27 kilomètres de développement, car elle décrit trente-cinq méandres de plus de 90 degrés d’angle ; celle de l’air, que l’oiseau suivrait tout droit à 1,000 pieds plus haut, au niveau du rebord des causses encaisseurs, ne mesure que 13 kilomètres ; et comme Madières est à 225 mètres d’altitude, c’est une chute de 8m,07 par kilomètre (au lieu de 2m,57 de Sainte-Enimie au Rozier) que le torrent subit en son précipiteux défilé. Aussi n’est-ce pas moins pittoresque, quoique plus petit, que les maîtres cañons du Méjean. Pas de roches rouges, il est vrai : gris et vert seulement, mais gris-perle aux reflets violets, qui chatoient dans la vibrante lumière méditerranéenne, et vert-olive, puisque là prospère l’arbre de Minerve ; impression très différente, en somme, et aussi vive. Puis, malgré la profondeur moindre, l’étroitesse frappe davantage : pas une expansion, pas un champ (sauf à Novacelle), pas un cirque ; même quand la source de la Foux a fait la Vis vraie rivière, pas un bateau, pas un planiol, rien que des ratchs, des cascades, et plus de trente promontoires rocheux, étroits, dentelés, effilés, jouant la coulisse et rendant chaque tableau du spectacle grandiose à force de rétrécissement. Par un beau temps, c’est superbe ! D’une sauvagerie complète, en outre : de Novacelle à Madières, 15 kilomètres sans une maison ! La Vis est le plus américain de tous les cañons des Causses ! Mais que les après-midi d’été sont donc brûlants et que les ondoiements des sentiers riverains par-dessus les croupes des trente caps sont fatigants à descendre et à monter au fond du trop sinueux corridor !

Après Vissec, encore 5 kilomètres sans courant : des coudes, des becs, des escarpements, de la lumière surtout, éblouissante ! Dans ce qui sert parfois de lit au torrent, des blocs et dalles énormes de roches toutes creusées de cuvettes et baignoires naturelles, et dans ces trous, quelques laquets d’eau morte sau-

  1. En raison sans doute de ce mauvais jeu de mots, la carte (feuille du Vigan) et quelques auteurs appellent le torrent le Vis ; mais dans le pays l’article féminin est unanimement employé.