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Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/264

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le gévaudan

Les évêques de Mende et de Viviers publièrent alors qu’une récompense de 200 livres serait accordée à celui qui délivrerait la contrée. Bientôt les états du Languedoc portèrent cette promesse à 2,000 livres. Toute vie, en effet, semblait suspendue : plus de chalands aux foires et marchés, plus de troupeaux menés en pâture, plus de veillées le soir au coin des âtres campagnards. En troupe armée seulement on osait se risquer dehors. Parmi les épisodes de cette véritable Terreur, on cite l’héroïque conduite de sept jeunes enfants du Villaret (hameau à 9 kil. au nord de Châteauneuf-de-Randon) chargés de mener à la montagne le bétail paternel.

Voici comment la raconte M. O. Fournier (Les Animaux historiques) :

Clochers de Mende. – Phot. Paradan

« Au point du jour, les sept enfants (cinq garçons, dont l’aîné pouvait avoir treize ans, et deux petites filles) se mirent en route pour la montagne. Ils étaient armés chacun d’un bâton garni d’une lame de fer pointue, longue de quatre doigts. Ils arrivèrent sans encombre au sommet de la hauteur, qui formait un plateau assez spacieux. Deux ou trois heures se passèrent sans que rien annonçât le moindre danger. Les enfants se réunirent, et, tirant des provisions d’un bissac, s’assirent pour déjeuner tous ensemble. Tout à coup un des petits garçons se leva, et, désignant du doigt deux yeux qui brillaient comme deux globes de feu, s’écria d’une voix étranglée par l’épouvante :

« La bête !… voici la bête ! »

« À ce cri, tous les enfants se levèrent et se mirent bravement en défense. Le terrible animal, qui d’abord s’était arrêté, s’approcha, tourna deux ou trois fois autour du faible groupe, et enfin s’élança d’un bond sur un des petits garçons. À l’instant les trois plus grands fondirent sur la bête et la piquèrent à plusieurs reprises sans parvenir à lui percer la peau. Néanmoins, à force de la harceler, ils finirent par lui faire lâcher prise. Elle se retira à quelques pas, après avoir arraché une partie de la joue droite au petit garçon dont elle s’était emparée d’abord, puis elle se mit à manger devant eux ce lambeau de chair sanglante.