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les cévennes


CHAPITRE PREMIER

le cañon du tarn. — d’ispagnac à sainte-énimie.


Cañon du Tarn. — Portail et bassin d’Ispagnac. — Les carrabiniers. — Les exploits de Mathieu de Merle. — Le pape Urbain V. — Quézac et sa source. — Au bord du Tarn. — Prades. — Panorama et légende de Sainte-Énimie. — Fontaine de Burle. — Jardins suspendus.


Bien que le Tarn (prononcez Tar) vienne heurter les calcaires et longer leur base dès l’issue de sa haute fosse granitique, au confluent du Tarnon, soit à une demi-lieue en aval de Florac, son encañonnement ne commence véritablement que 12 kilomètres plus loin, après Ispagnac. « Là, dit O. Reclus, le cañon du Tarn s’ouvre entre la serre de Pailhos à gauche et la Boissière de Molines à droite : la serre de Pailhos (1,056 m.) est un fier bastion du causse Méjean ; la Boissière de Molines ou Chaumette (1,046 m.) est un promontoire du causse de Sauveterre. La teinte de ces roches annonce qu’on a quitté le schiste lozérien, parfois noir jusqu’au lugubre, pour l’oolithe, la dolomie, pierres éclatantes, diversicolores, reposant ici sur le lias.

« Entre parois de 400, 500, 600 mètres, qui parfois montent, de la rivière même, parfois de talus d’éboulements dont la vigne ou le jardin s’empare au détriment du maquis, jadis forêt de pins sylvestres, de chênes, de buis, de hêtres, le Tarn se plie et replie, merveilleusement pur, merveilleusement vert. Entré petit, presque intermittent, à demi mort pendant quatre à six mois sur douze, dans le profond couloir d’entre-causses, comme ces torrents de large grève dont le gravier brille au soleil, il en sort grand et vivant toute l’année sans avoir bu le moindre torrenticule ; mais des sources de fond l’avivent, et trente fontaines mêlent à son flot pur leur transparent cristal ; à droite, elles s’échappent des entrailles du causse de Sauveterre ; à gauche, elles fuient du causse Méjean, transpercé de cavernes[1].

« D’un causse à l’autre, de lèvre à lèvre, par-dessus les 1,200, les 1,500, les 1,800 pieds de profondeur d’abîme, il y a rarement 2,500 mètres, rarement aussi 2,000 : 1,500 mètres est presque partout la largeur du précipice entre les deux rebords de plateau, la largeur à fleur de Tarn n’étant parfois que l’étroite ampleur de ce Tarn lui-même.

« En deux ou trois endroits, l’écart est moindre, et l’on peut imaginer un pont dont la travée, certes la plus hardie du monde, mènerait en 1,000 mètres du fronton de Sauveterre au fronton de Méjean.

  1. Que l’on note bien ce fait remarquable que, dans toute l’étendue de son cañon, pendant 53 kilomètres, le Tarn ne recueille pas un seul affluent à ciel ouvert : des trente sources qui le grossissent, trois seulement, la Vigas, Burle et les Parayres forment rivière pendant quelques centaines de mètres entre leur vasque d’origine et leur confluent avec le Tarn. Cela n’empêche pas beaucoup de cartes, même celle de l’état-major, de faire figurer des ruisseaux au fond des ravins toujours à sec. Cassini, plus exact, a eu soin de ne marquer que les trois fontaines sus-indiquées. Il y a vingt sources sur la rive droite (Sauveterre) et dix sur la gauche (Méjean), parce que le bassin de réception du Tarn a beaucoup plus d’étendue sous le causse de Sauveterre que sous le causse Méjean, moins grand, et drainé en outre par le Tarnon et la Jonte.