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le cañon du tarn. – d’ispagnac à sainte-énimie

À cheval sur l’unique voie de communication ouverte entre Mende et les Cévennes, et commandant la route du causse, Ispagnac avait une grande importance stratégique ; aussi était-elle, au moyen âge, entourée d’épaisses murailles flanquées de tours. En 1562, lorsque le baron d’Alais, avec ses calvinistes, vint piller la riche église collégiale de Sainte-Marie-de-Quézac, il n’osa attaquer Ispagnac. Dix-huit ans plus tard, et pendant les guerres de religion du règne de Henri III, Mathieu de Merle, habile et rapace chef de partisans protestants, tenait tout le Gévaudan sous la terreur de sa bande de soudards ; maître de Mende (V. chap. XVIII), il voulut attaquer Ispagnac et l’investit ; mais il dut attendre, pour l’emporter, l’arrivée d’un de ses compagnons d’armes, Gondin, qui avait reçu du prince de Condé Henri Ier un régiment à peu près organisé.

Parmi la longue chronique locale d’Ispagnac, le siège de Merle en 1580 est le seul épisode digne d’être narré, car il appartient aux annales de l’histoire de France, et tout le long du cañon on retrouve le souvenir des exploits du fameux capitaine calviniste, né à Uzès en 1548 et mort en 1590.

Voici d’ailleurs le récit même de Gondin[1] :

« Ledit prince de Condé… commande au sieur Gondin, maréchal de camp, de s’acheminer avec son régiment de huit enseignes du côté de Mende, pour aviser à ôter les forts que les catholiques tenaient entre les Cévennes et Mende. Étant arrivé ledit Gondin à Molines (fin de novembre 1580), près la ville d’Ispagnac, et ayant conféré avec aucuns gentilshommes desdits pays des Cévennes, Porquarès s’achemine à Meyrueis pour faire marcher pouldlres. Merle va faire partir de Mende deux canons et une bâtarde qu’il avait fait faire, et une quantité de balles, en faisant fondre la grande cloche tant renommée (la Non-Pareille). Gondin alla bloquer la ville d’Ispagnac avec ses troupes et quelques compagnies du pays. Étant arrivés Porquarès et Merle dans quatre jours après, avec poudres, balles et lesdits canons, descendus à la descente de Molines, presque inaccessible, et la façon qui furent descendus, ayant attaché vingt paires de bœufs par derrière le canon pour le retenir qu’ils ne prissent la descente et tiré seulement par une paire au devant, logèrent le même soir les canons joignant des maisons du côté de Florac. Le jour suivant, de bon matin, commença la batterie. Sur le soir, on se loge sur une tour, faisant le coin de la ville, que le canon avait abattue, attendant le jour d’après pour faire élargir la brèche et donner l’assaut ; mais, sur la minuit, les soldats de la garnison, en nombre de quatre-vingts à cent, prirent telle appréhension d’être forcés, qu’ils persuadèrent à M. de Lambradès, leur gouverneur, de déloger avec eux : ce qu’ils firent à l’instant, sortant en foule, passant la rivière du Tarn au gué, grimpant la montagne de Notre-Dame-de-Quézac, où aucuns furent tués, et pris prisonniers, les autres se sauvant sans armes à Quézac.

« Le jour suivant, Gondin avec son régiment et autres compagnies des Cévennes vont bloquer le château de Quézac ; Porquarès et Merle font marcher le canon, qui fut mis en batterie sur le soir ; ayant tiré environ deux cents coups de canon, n’était encore la brèche raisonnable. Deux soirs après, font un trou audit château par derrière, passant certaine garde du côté de la rivière du Tarn et se

  1. Inséré dans les pièces fugitives du marquis d’Aubaïs, qui font partie de la collection Michaud et Poujoulat, et qui ont été primitivement éditées comme suit : Pièces fugitives pour servir à l’histoire de France, par le marquis d’Aubaïs, 1759, 3 vol. in-8o. Le tome Ier contient : 1o les Exploits de Mathieu de Merle, baron de Salavas, par le capitaine Gondin ; 2o le Voyage du duc de Joyeuse en Languedoc.