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le cañon du tarn. – d’ispagnac à sainte-énimie

À peine a-t-on dépassé le pont de Quézac pour continuer à descendre le Tarn, que l’on aperçoit, dans la rivière et sur la partie généralement à sec de son gravier, une grosse tour ronde. Cette tour abrite une fontaine d’eau gazeuse sodique. La situation du lit du Tarn sur l’orifice de la source en rend l’usage difficile.

On a cherché à capter ces eaux et à régulariser leur débit ; mais la population s’y est toujours opposée, et en est venue à des voies de fait contre les concessionnaires.

Telle quelle, cette fontaine attire en septembre un certain nombre de malades, venant faire « une cure de raisin » et d’eau minérale.

Les habitants d’Ispagnac et de Quézac, qui tirent profit de ces « patients », tiennent leur eau pour une panacée universelle[1].

Trois cents mètres plus loin, au hameau de Molines, le Tarn reçoit son premier affluent, c’est-à-dire sa première source : le lecteur a sans doute retenu déjà que dans toute la traversée du cañon, d’Ispagnac au Rozier, le Tarn n’a d’autres tributaires que les sources de fond et les fontaines magnifiques qui sourdent au pied des murailles des deux causses. Aucun ravin, sauf à la fonte des neiges ou à la suite de forts orages, ne lui apporte une goutte d’eau, les pluies des plateaux s’infiltrant dans les couches de la roche jurassique et ne venant sortir que très bas au contact des argiles.

Cette première source s’appelle le Vigos (r. dr.) ou le ruisseau de Molines : d’après la tradition, elle aurait roulé jadis des paillettes d’or.

La carte de l’état-major, par un évident lapsus de copiste, dessine ici une vraie rivière dans le ravin de Molines, qui n’est qu’une longue crevasse aride. Celle de Cassini, plus exacte, note simplement et correctement la source.

À Molines, la route de Sainte-Énimie (terminée en août 1882 seulement) franchit le Vigos sur un pont ; puis, laissant à droite celle de Mende, elle s’insinue enfin dans le cañon. Pendant 16 kilomètres, elle va se maintenir sur la rive droite et côtoyer tous les méandres du Tarn, tantôt presque à son niveau, tantôt à 100 mètres au-dessus de ses grèves. Elle a remplacé l’ancien sentier qui, il y a moins de dix ans, assurait seul la communication entre les deux bourgs.

En heurtant le causse de Sauveterre à Molines, la rivière se jette brusquement sur la gauche, vers le sud, suivant un angle très aigu, et s’engage dans la colossale galerie qu’elle ne quittera qu’au Rozier, à 53 kilomètres de distance.

Comme une sentinelle, le pittoresque château de Rocheblave, plaqué contre le talus du causse, semble à droite garder cette entrée.

Haut bâtiment rectangulaire couronné de mâchicoulis et ajouré de fenêtres bien réparées par M. Germer-Durand, Rocheblave a tous les caractères d’une construction du xvie siècle. Mais des vestiges d’un château plus ancien se voient sur les rochers auxquels il est adossé.

Ce sont les restes du vieux castel de l’Aiguillette, du xiie siècle, et ces rochers, hauts de 50 mètres, menus comme des fuseaux, montrent sur leurs parties planes des ruines auxquelles on parvenait par une tour suivie d’escaliers et de ponts en bois.

Il est peu de colonnettes de pierre aussi fines que ces fuseaux.

Le château dépassé, on se trouve dans un véritable isolement : à droite sont

  1. Notice sur les eaux minérales de Quézac, par Comandré, docteur-médecin ; Bulletin de la Lozére, 1861, p. 207.