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les eaux souterraines

d’obélisques et de pans de mur naturels ; ce sont les témoins irrécusables du travail des eaux et de l’affaissement des voûtes ; laissés debout parce que l’érosion s’est arrêtée avant d’entraîner leur socle de marnes, et capricieusement sculptés depuis par les agents atmosphériques.

5° Enfin, dans les vallées mêmes, des éboulements colossaux, obstruant le thalweg entier et barrant le cours des rivières, comme le chaos du pas de Soucy, à la perte du Tarn, achèvent de démontrer que les cassures (diaclases ou failles) des dolomies ont été le réseau de trous de mine utilisé par les eaux courantes pour pratiquer les cavernes, et que les écroulements de ces dernières ont tracé ensuite le sillon originaire, l’amorce des cañons actuels.

Telle est la cause qui a produit les admirables vallées françaises où vont s’extasier des visiteurs chaque année de plus en plus nombreux.

Les fractures du sol ont donc joué un rôle capital, conformément aux idées de M. Daubrée, dans la formation des thalwegs.

Tel n’est pas l’avis de MM. de La Noé et de Margerie dans leur remarquable ouvrage sur les Formes du terrain[1]. Pour eux, l’origine des vallées ne saurait être attribuée généralement à des fractures (p. 163). Il est vrai que l’emploi du mot généralement indique, dans la pensée de ces auteurs, qu’il y a des exceptions. La principale des exceptions doit être faite pour les terrains calcaires très fissurés : ils ne la concèdent pas cependant, puisqu’ils s’expriment ainsi :

« Les profondes vallées des Causses n’existeraient pas si les bassins des cours d’eau s’arrêtaient à la limite des calcaires perméables de la surface ; les eaux de pluie s’infiltreraient dans le sol, au lieu de former des rivières assez volumineuses pour creuser d’aussi profondes dépressions. Au contraire… les cours d’eau, formés sur des terrains non perméables… ont abordé la région perméable avec un volume assez grand… pour approfondir leur lit… Les roches d’amont étaient découpées et entraînées par le ruissellement, tandis que les calcaires qui couronnent les Causses, grâce à leur perméabilité, échappaient à cette dégradation. Ainsi s’explique naturellement l’aspect de la région aux environs de Florac, où le Tarn et ses affluents semblent pénétrer, comme à travers un mur, dans l’épaisseur du plateau » (p. 170).

C’est laisser beaucoup trop large la part de l’érosion. Pourquoi refuser au Tarn d’avoir fait jadis, aux dépens des causses Méjean et de Sauveterre, ce que font actuellement la Lesse à Han, le Bonheur à Bramabiau, Padirac à Gramat, la Poik à Adelsberg, la Recca à Saint-Canzian ?

Ce qu’il faut dire, c’est que les cañons des Causses ne seraient pas si profonds si la différence d’altitude était moindre entre les plateaux et le bas Tarn (bassin de la Garonne). Si la pesanteur n’avait pas attiré les torrents vers le niveau de la mer, les marnes bathoniennes n’eussent pas été emportées, et peut-être que les voûtes des cavernes supérieures, restant soutenues comme à Han et Adelsberg, ne se fussent pas écroulées. Le Karst, avec ses dolomies et ses jamas, nous montre également ainsi de vrais, cañons en construction.

M. Fabre veut aussi que « les eaux, et les eaux seules, aient creusé ce sillon du Tarn profond de 600 mètres… qui n’est pas le résultat d’une fracture ou d’une série de fractures. »

Or, dans cette vallée même, comme à Bramabiau, Dargilan, Padirac, etc., tous

  1. Paris, impr. nationale, et Hachette, 1888, in-8o, et atlas in-4o.