Page:Martel - Les Cévennes et la région des causses, 1893.djvu/59

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
50
les cévennes

elle se fit porter dans ce souterrain du vieux château de sa famille par un berger et un domestique fidèle. Pendant plusieurs mois on lui apporta sa nourriture en cet endroit, malgré la difficulté de l’escalade. Une alerte ayant fait croire sa retraite découverte, le même berger la transporta alors à 2 kilomètres en aval : dans une grotte dont l’ouverture donnait sur l’eau, en sorte qu’en y montant avec une échelle aucune trace ne subsistait. La pauvre aveugle retirait l’échelle, qu’elle faisait ensuite glisser vers le berger lorsque celui-ci lui annonçait sa présence par un signal. Cette femme énergique survécut à neuf mois de réclusion dans ces profondeurs humides, et s’éteignit, plus que nonagénaire, dans la première moitié de ce siècle, après avoir vu périr avant elle, dans les circonstances les plus dramatiques, ses trois fils, ses brus et tous ses petits-enfants. Pour transmettre l’héritage des Montesquieu, qu’elle avait pu récupérer, elle fut obligée d’appeler auprès d’elle des parents éloignés, auxquels elle remit la Malène, le seul château resté debout dans ses anciennes possessions.

« Un peu au-dessous du pilon de Montesquieu est une autre grotte tristement célèbre. Le batelier racontera au voyageur le massacre des prêtres cachés là en 93 ; mais nous n’attristerons pas notre voyage, à travers d’aussi grandes beautés de la nature, par de lugubres souvenirs. » (L. de Malafosse.)

En face du rocher Montesquieu on remarquera deux ruines opposées, jadis burgs ennemis, jusqu’à la destruction réciproque, comme le Chat et la Souris de Saint-Goar, aux bords du Rhin ; de poétiques et tristes légendes planent sur leurs débris : la Lozère aurait-elle eu aussi ses Montaigus et ses Capulets ?

Portée par le courant, la barque frôle presque une falaise de la rive droite, où s’ouvre à fleur d’eau le porche élevé d’une excavation grande comme une chapelle gothique ; la forme d’un rocher intérieur lui a fait donner le nom de grotte de la Momie, Les hautes eaux y pénètrent.

Un étrange effet de perspective fait croire que le Tarn va passer sous une voûte ; mais après quelques coups de gaffe s’ouvre une coupure verticale ; nous sommes au Détroit.

Le passage dit le Détroit ou les Étroits est le plus resserré du Tarn : les falaises y atteignent près de 100 mètres de hauteur, et se rapprochent tellement que la rivière occupe toute la largeur du défilé ; en 1873, pendant l’inondation, l’eau s’éleva entre elles de 20 mètres en quelques heures. Elles sont toutes percées de grottes où se réfugièrent, en 1793, les prêtres et les nobles pourchassés par la Révolution. La nouvelle route, encore plus que les sentiers actuels, devra s’élever bien au-dessus de ce couloir, qu’elle ne permettra pas d’admirer ; cette circonstance fait l’espoir des bateliers de la Malène, qui voient avec raison dans les Étroits une source de fortune future.

Le voyageur perdu dans le gouffre aperçoit, à 500 mètres au-dessus de sa tête, les aiguilles rocheuses du rebord des causses Méjean et de Sauveterre qui dardent dans le ciel bleu.

Là-haut, l’entre-bâillement des deux lèvres du cañon n’est que de 1,200 mètres.

À la sortie du Détroit, l’œil embrasse dans toute son élévation ce passage, long de 600 mètres ; les deux parois de la gorge sont à peine coupées par quelques étroits talus, et se dressent, d’une seule venue, à 1,500 pieds de hauteur.

C’est un des trois plus beaux sites du Tarn.

« J’ai descendu et remonté l’Ardèche en bateau ; j’ai visité plusieurs fois les cluses célèbres des défilés de Saint-Georges et de Pierre-Lisse, dans la vallée de