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les cévennes

mier puits conique de 35 mètres de profondeur seulement, large à sa base de 12 mètres, et suivi d’un deuxième gouffre beaucoup plus allongé que large, et creux de 52 mètres ; plus bas vient une troisième cheminée, de 18 mètres de hauteur ; le fond de l’abîme, à 116 mètres en dessous de l’orifice, se composait d’une crevasse cylindrique remplie d’eau[1].

Presque à la pointe du causse Méjean on peut, des bords mêmes du Tarn, faire une course très intéressante, à pied seulement, par des sentiers difficiles.

Immédiatement au-dessus du Cambon (5 kil. des Vignes, 6 kil. du Rozier), où la vallée du Tarn commence à s’élargir, la muraille de la rive gauche est plus déchiquetée que partout ailleurs. Dans cet entassement chaotique, le regard est attiré par un rocher perforé, indice de quelques nouvelles étrangetés ; si l’on quitte la gorge pour se hisser sur le causse, la montée, à peu près à pic, est essoufflante au possible ; mais aussi, quel spectacle inouï ! Le roc troué aperçu d’en bas (V. p. 62) est en réalité un grandiose portail ogival, haut de 10 mètres, large de 6 ; derrière cette entrée de forteresse, appelée le pas de l’Arc, on débouche soudain dans une enceinte bastionnée véritablement cyclopéenne : des tours rondes, hautes de plus de 100 mètres et régulières comme des constructions architecturales, dressent dans l’air leurs masses colossales ; autour de ces donjons isolés, des courtines délabrées, des redans lézardés, et l’escarpe du Tarn, profonde de 1,200 pieds, complètent l’illusion guerrière ; on dirait les ruines foudroyées d’un repaire de Titans ! Quelque fatigante que soit l’approche de ces retranchements, on ne saurait passer au pied sans visiter cette magnificence. Il est d’ailleurs plus facile d’y accéder par le haut : un bon sentier descend jusque-là depuis la Bourgarié, hameau perché à quinze minutes au-dessus, sur le bord même du plateau. Tout le promontoire sud-ouest du causse Méjean constitue une excursion superbe : outre le pas de l’Arc, les deux ravines des Bastides et du Truel, tributaires de la Jonte, ne sont pas moins bizarrement tailladées que celles du Tarn. Le signal du mont Buisson (1,069 m.), entre Saint-Pierre-des-Tripiers (949 m.) et la Bourgarié (866 m.), est un belvédère remarquable : de cette couronne, on domine à la fois toute l’étendue des trois tables calcaires qui convergent vers le confluent de Peyreleau ; au bas de l’Aigoual et de la Lozère s’incline doucement le désert pierreux ; il n’y a d’arbres qu’à l’extrémité orientale du causse, moins âpre que celle de l’ouest ; encore les frênes et ormes solitaires, les maigres bouquets de pins sylvestres, grillés tour à tour par la gelée ou la canicule, sont-ils presque gris comme le sol ; les moissons jaunes elles-mêmes perdent leur couleur gaie dans ce tableau chauve ; à 2 ou 3 kilomètres vers l’est, les deux lèvres des cañons bâillent entre leurs dents ébréchées : on sent l’abîme que l’on ne peut voir ; l’ensemble est triste, mais cette tristesse impressionne et charme !

Comme variante, la promenade de la Jonte au pas de l’Arc par le ravin du Truel, le bout du causse et la Bourgarié, avec retour par le mont Buisson, Saint-Pierre-des-Tripiers, le vallon des Bastides et les Douzes, demande environ 5 à 6 heures de marche. Elle permet de ne pas sacrifier la visite du Rozier ; elle évite la grimpade du Cambon, et elle donne une excellente idée du plateau :

  1. En octobre 1892 notre collaborateur M. Paul Arnal et notre contremaître Louis Armand sont descendus 30 mètres plus bas (à près de 150 mèt.), grâce à la sécheresse, et ont exploré dix autres avens du causse Méjean profonds de 25 à 110 mètres. Il faudrait désobstruer le fond de ces avens pour parvenir aux réservoirs des sources.