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VI

Xalon, a vus naître sur sa montagne escarpée. Ne recevrez-vous pas mon livre avec une amitié sincère ? n’êtes-vous pas jaloux quelque peu de la renommée de votre poête ? Songez-y, et soyez justes : votre renommée, votre illustration, c’est à moi que vous les devez. Mantoue est fière de Virgile, Appone de Tite-Live ; Cordoue célèbre comme siens les deux Sénèque, et Lucain, ce poëte unique ; Vérone ne doit pas plus à Catulle que Bilbilis à Martial. Trente-quatre ans se sont écoulés depuis que sans moi vous offrez à Cérès vos rustiques gâteaux ; hélas ! je n’ai été que trop longtemps l’habitant de Rome la superbe ! L’Italie a changé la couleur de mes cheveux, non mon cœur. Préparez-moi cependant parmi vous une retraite agréable et favorable à la paresse : j’irai achever sur notre montagne chérie ce livre commencé dans la poussière de mon petit jardin.

La fière Bilbilis, ma ville natale, est célèbre par ses eaux et par les armes qu’elle fabrique. Le Caunus blanchi par les neiges, le Vaduvéron sacré, séparé des autres montagnes, les délicieux bosquets du charmant Botrode, séjour chéri de l’heureuse Pomone, entourent Bilbilis. Voilà pourtant la fortunée patrie que j’abandonnai à peine âgé de vingt- un ans ! J’étais bien pauvre alors ; et que de fois, sans asile et sans robe, j’ai maudit les imprévoyants parents qui m’ont fait étudier les lettres ! Qu’avais-je besoin, en effet, pour vivre ainsi misérable, des grammairiens et des rhéteurs ? à quoi bon une plume inutile qui ne pouvait ni m’habiller ni me nourrir ? Quand je vins à Rome Néron vivait encore, et il se servait à lui-même de comédien et de poëte. J’en étais réduite flatter, non pas César, mais les subalternes de la cour impériale, qui me donnaient en revanche la robe et le souper. Je flattais, entre autres vicieux sans pudeur, un jeune débauché qui s’appelait Régulus. Ce Régulus avait eu le courage de passer, au grand galop de son cheval, sous un portique en ruine, et je célébrais sa valeur comme s’il eût été le véritable Régulus. « Quel horrible forfait, m’écriai-je (pardonnez-moi, j’étais à jeun), ce portique a pensé commettre ! il s’est « écroulé tout à coup au moment où venait de passer Régulus ! » Pour me payer mes vers, Régulus m’invitait à souper, le soir, à côté de ses affranchis.

Un autre jour je flattais le débauché Julius, je l’invitais (chose inutile ) à jouir des plaisirs de la jeunesse : « Ils passent, ils s’envolent, les « beaux jours : saisis-les de tes deux mains ! » Et Julius m’envoyait par son esclave un bracelet brisé dont ne voulait plus Stella, sa maîtresse.