Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/14

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VIII

mange, en retenant mes larmes, les restes de ses esclaves. — Si je vais saluer Bassa le matin, il me reçoit accroupi sur un vase d’or, l’indigne ! Il lui en coûte plus cher pour vider son ventre que pour remplir le mien pendant toute une année ! — Décianus m’invite pour l’amuser, et il m’accouple avec Cécilius, un plat bouffon qui échange des allumettes contre des verres cassés, un avaleur de vipères, un marchand de saucisses et de pois bouillis ! — A souper, le riche Mancinus nous fait servir un tout petit cochon de lait dont on fait soixante parts ; et, pendant que nous nous arrachons ce pauvre rôti en parcelles inaperçues, notre hôte avale tranquillement de belles grappes de raisin, des pommes plus douces que le miel, des grenades de Carthage, les olives du Picénum ! Métier de honte et de misère, la poésie ! Oh ! me disais-je tout bas en cachant ma douleur sous un air riant, si le ciel m’avait seulement donné une petite ferme où je pusse vivre, comme j’aurais vécu sans faste au sein de la médiocrité et de la poésie ! Eût fait qui eût voulu le métier de courtisan : ce n’est pas moi qu’on eût vu dès le matin attendre dans une antichambre glacée le lever du patron, et lui adresser humblement le salut du matin. Avec quelle joie j’aurais renvoyé à Flaccus sa misérable sportule de cent quadrans ! — Mais non ! tant de bonheur n’est pas fait pour moi ; et ce soir même il faut que j’aille tendre la main au vil Rufus.

Encore si j’étais né avec la souplesse du parasite ! si j’avais l’effronterie de Silius ! Silius se promenait fort tard sous le portique : son visage était triste et abattu, ses cheveux étaient en désordre ; on eût dit qu’il avait perdu sa femme et ses deux enfants. Un plus grand malheur était arrivé à Silius ; ce soir-là Silius avait eu une journée malheureuse : il avait été le matin flatter Célinus au portique d’Europe, il avait couru vers l’enceinte des Comices, il avait parcouru tour à tour le temple d’Isis, le jardin de Pompée, les bois de Fortunatus, ceux de Faustus, ceux de Grillus environnés de ténèbres, ceux de Lupus ouverts aux vents de toutes parts : eh bien ! ainsi éreinté, ainsi affamé, ainsi altéré, ce malheureux Silius, ce soir-là, était forcé de dîner chez lui !

Horrible vie ! Quand je voulais quitter les sénateurs, mes patrons, pour des tables plus modestes, toute maison m’était fermée. J’allais dîner chez Maxime : Maxime avait été dîner chez Tigellin ; j’allais saluer Paulus : Paulus lui-même était en train d’accompagner Posthumus. J’étais le parasite d’un parasite, le valet d’un valet. Quelle fatigue ! répondre à chaque instant à ces riches, quoi qu’ils fassent et quoiqu’ils disent : C’est parfait ! c’est admirable ! suivre à pied la litière de Rufus