Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/16

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mait jamais sa porte, même quand elle devrait le plus la fermer ; que Névia trompait en riant son cher mari Rufus ; qu’Églé n’avait plus de dents, Lycoris plus de cheveux ; que Corbianus était le fils d’un esclave ; que Scazon le philosophe n’était pas si sévère que son habit. Moi j’ai dit le premier, et tout haut, et dans un vers facile à retenir : « Afra a cinquante « ans ; Ammianus n’est que le fils de sa mère ; Allalus, le célèbre « avocat, était un misérable joueur de flûte ; Paullus ne fait pas « ses vers ; Galla fait son visage ; Philinis est chauve, rousse et borgne ; « Phœbus a les jambes crochues ; Pennilus est trop mal peigné ; Codrus, « qui a l’air si riche, a mis en gage son amour pour souper ce « soir ; Lalagée a cassé son miroir ce matin pour une boucle mal attachée ; « l’autre jour, Posthumus a été frappé au visage, mais devinez « par qui frappé ? par Cécilius ! Sauffinus est un faux riche, il est « obligé de louer ses esclaves à Faventinus ; Gaurus boit comme un « Caton, il fait de mauvais vers comme Cicéron, il a des indigestions « comme Antoine, il est gourmand comme Apicius : il n’est cependant « ni Caton, ni Cicéron, ni Marc-Antoine, ni Apicius. »

Quand j’eus ainsi remplacé la louange par la satire, je m’aperçus que ma tâche était bien facile : cette société romaine, usée jusqu’à l’échine, est aussi pleine de vices que de ridicules. Il y avait un savetier qui donnait au peuple des combats de gladiateurs : je perçai le savetier de mon alêne poétique ; Ligurinus, à sa propre table, nous récitait ses petits vers : je mis a l’index les petits vers de Ligurinus ; Gellia se cou- vrait de parfums : je soufflai sur ces parfums de Gellia, et j’en démontrai l’infection ; on disait de toutes parts que Cotilus était un jeune homme bien élevé : « Pourquoi bien élevé ? m’écriai-je ; parce que sa « chevelure est bouclée ? parce qu’il s’en va fredonnant des chansons « égyptiennes ? parce qu’il passe sa vie à causer avec les femmes ? parce « qu’il s’écrit a lui-même des lettres d’amour ? Par Jupiter ! Livius « Gargilianus est un homme aussi bien élevé que Cotilus : il s’épile le « visage et le menton. — Mais silence ! entendez-vous Rufus s’emporter « contre son cuisinier ? Rufus est à table avec ses hôtes : il prétend « que le lièvre n’est pas cuit, et il demande des verges. Rufus aime « mieux dépecer son cuisinier que son lièvre. »

Pendant que je me livrais ainsi a la satire, Rome entière répétait mes épigrammes ; non-seulement Rome, mais la province ; non-seulement la province, mais même chez les barbares ; à Vienne, par exemple, dans les Gaules, on savait les vers de Martial. Ainsi encouragé dans