Page:Martial - Épigrammes, traduction Dubos, 1841.djvu/18

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XII

vivre familièrement avec les plus grands, avec les plus puissants, avec les plus riches ; n’avoir sous les yeux, dans des palais de marbre, que vases d’or, riches statues, tableaux des grands maîtres, ivoires, airains, marbres précieux, robes de pourpre, esclaves empressés ; et cependant avoir faim, avoir froid, être à peu près nu sous un manteau troué, se sentir la proie, le jouet, la pâture de la pauvreté, et sous ces haillons sourire encore, flatter encore, ou bien aiguiser la joyeuse épigramme qui doit faire rire une cour avare !… Tel était l’heureux destin de votre pauvre Martial.

Nous avons donc beaucoup loué Domitien, non pas moi, mais ma pauvreté. Domitien a payé mes louanges en tyran avare qui comprend très-bien que ce ne sont pas les poètes qu’il lui faudrait acheter, mais les historiens, et que les historiens ne se vendent pas. Mes douze premiers livres d’épigrammes sont tachés du nom de Domitien. C’est en vain que j’ai voulu louer le tyran en honnête homme : il y a de certaines louanges qui ne peuvent pas être honnêtes. Pour me punir, la Muse, qui est juste, m’abandonna toutes les fois que je parlai de cet empereur digne de Néron ; oui, et moi, je le dis à ma gloire, malgré toute mon imagination et toute ma facilité à écrire en vers sur un sujet donné, j’ai toujours été un mauvais poète et un maladroit quand j’ai flatté l’empereur Domitien. J’ai fait des vers sur l’amphithéâtre qu’il a bâti, et je n’ai rien trouvé de mieux que de comparer cet amphithéâtre aux pyramides d’Egypte, et d’en faire la huitième merveille du monde ; j’ai raconté que de tous les coins de l’univers les Barbares arriveraient pour saluer ce terrible César. J’ai flatté toutes les manies du tyran. Par ses ordres cruels, des femmes descendaient dans l’arène pour s’entre-déchirer : j’ai célébré le courage de cette Vénus aux griffes terribles ; on jetait aux ours des malheureux que les ours dévoraient tout vivants : j’ai trouvé que ces supplices, toujours renouvelés, représentaient à merveille le supplice de Prométhée, et j’ai dit à ce sujet mille affreuses gentillesses. Un autre jour, c’était un rhinocéros qui faisait ses premiers débuts dans le Cirque : j’ai applaudi le rhinocéros impérial. L’ours eut son tour, et j’ai chanté l’ours pris dans la glu comme un habitant de l’air. Une lionne, percée d’un javelot, jeta un petit dans l’arène : à ce propos, j’ai comparé César à Lucine ; à trois fois, je suis revenu sur l’histoire de cet enfantement étrange. Je n’ai pas oublié l’éléphant qui adorait César à genoux : « Crois-moi, disais-je à Domitien, l’éléphant comprend tout comme nous ta divinité. » Triste flatteur que