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XXV

tous les opprimés dans le temple du dieu qui lient la faux et le tonnerre, si j’avais voulu vendre mon éloquence et mon esprit aux accusés tremblants, mes celliers seraient remplis de vin d’Espagne, ma toge serait brodée en or. Un pauvre homme qui fait des livres ne peut attendre tout au plus pour son salaire qu’une place à quelque bonne table. Laissons donc aboyer les détracteurs, chiens enragés qui me déchirent de leurs morsures, et dont le nom doit mourir inconnu. Les idiots ! ils attaquent vers par vers, et comme s’il s’agissait du poème de Lucain, des bagatelles qui ont eu le bonheur de plaire aux plus éloquents orateurs du barreau, de petits livres que Silius place avec honneur dans sa bibliothèque, des vers que citent Régulus et Sierra ! D’autres critiques plus indulgents m’ont reproché mes épigrammes en vers hexamètres : j’avoue qu’une épigramme qui marche sur tant de pieds est un peu lente ; mais on est libre de ne pas lire mes vers hexamètres. Plus d’une fois, sensible aux encouragements de ceux qui me disaient : Travaille, Martial ! accomplis des poèmes de longue haleine, Martial ! j’ai voulu m’élever dans une autre sphère ; mais bientôt ma muse facile, secouant autour de moi les parfums enivrants de sa chevelure, me disait d’une voix qui chante : — Ingrat ! peux-tu bien renoncer à notre charmant badinage ! Où trouveras-tu donc un meilleur emploi de nos loisirs ? Quoi ! tu voudrais échanger le brodequin contre le cothurne, ou bien chanter la guerre et ses fureurs en vers ronflants, pour qu’un pédant enroué fasse de toi la haine des petites filles et la terreur des petits garçons obligés d’apprendre tes poèmes par cœur ! Abandonne ces tristes labeurs à ces écrivains tristes et sobres qui passent leurs nuits à la clarté douteuse de la lampe. Pour toi, continue de répandre dans tes écrits les grâces du sel romain ; reste toujours le peintre fidèle des mœurs de ton siècle. Qu’importe que tes chants s’échappent d’un simple chalumeau, si le chalumeau l’emporte sur les trompettes ?

Oui, ma muse a raison : restons le poète des jeunes gens fougueux, des belles femmes galantes, des esprits rieurs, des élégants de Rome ; flattons tour à tour la beauté et la jeunesse, et narguons les censeurs ! D’ailleurs, mes différents livres d’épigrammes ne se ressemblent guère : ce n’est pas seulement aux oisifs de la ville et aux oreilles inoccupées que s’adressent mes écrits ; ils sont lus aussi par l’austère centurion que Mars réunit sous les drapeaux au milieu des glaces de la Gétie ; les Bretons récitent mes vers ; j’en ai fait que la femme de Caton elle-même et les austères Sabines pourraient lire sans rougir. Mon vers est tour à