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saint-irénée

à une mesure inévitable, mais ils réclamèrent dans la division des biens la plus grosse part ; ils conservèrent les privilèges de leur ancienne société, maintinrent ses droits et transportèrent, autant que possible, par fiction ou en réalité, à l’établissement qu’ils se proposaient de créer, les dépouilles du temple qu’ils abandonnaient, ses fonds, ses ornements, ses châsses et ses reliques, ses traditions et ses archives. La célèbre collégiale des barons féodaux de Saint-Just prit naissance de cette dislocation : revendiquer pour elle une existence antérieure de sept ou huit cents ans, c’est aller contre la matérialité des faits et substituer à l’histoire des pierres les inventions apocryphes, suggérées par des intérêts de parti.

Au cours du moyen âge, les incidents relatifs à l’église et aux bâtiments claustraux ont été de peu d’importance ou du moins la mémoire s’en est promptement effacée : selon le devoir de leur charge, les prieurs veillèrent à leur conservation ; ils les réparèrent ou les entretinrent à proportion des ressources dont ils disposaient. L’un d’entre eux, dans le xiie siècle ou plus vraisemblablement au xiiie, plaça la fameuse mosaïque du chœur dont les dernières parties ne disparurent qu’en 1824 ; Artaud, directeur du musée, a conservé le dessin de ce qu’il en avait vu : elle était formée par trois rangs de niches superposées, dans lesquelles des figures symbolisaient les sciences scholastiques, les vertus cardinales et théologiques. Dans le soubassement inférieur, on lisait l’inscription en l’honneur du chef immortel ayant conduit les dix-neuf mille compagnons de son supplice.

INGREDIENS LOCA TAM SACRA, JAM TUA PECTORA TUNDE :
POSCE GEMENS VENIAM, LACRYMAS HIC CUM PRECE FUNDE.
PRÆSULIS HIC IRENÆI TURMA JACET SOCIORUM
QUOS PER MARTYRIUM PERDUXIT AD ALTA POLORUM.
ISTORUM NUMERUM, SI NOSCE CUPIS, TIBI PANDO :
MILLIA DENA NOVEMQUE FUERUNT SUE DUCE TANTO,
HINC MULIERES ET PUERI SIMUL EXCIPIUNTUR,
QUOS TULIT ATRA MANUS, NUNC CHRISTI LUCE FRUUNTUR.

Contrairement à cette déclaration permanente en hexamètres lapidaires, les barons de Saint-Just étaient persuadés qu’ils détenaient chez eux les corps saints qu’on vénérait jadis dans leur primitive résidence, sans en excepter les restes du grand docteur lui-même, saint Irénée, et ceux des martyrs Épipode et Alexandre, déposés auprès de lui. Deux textes épigraphiques en instruisaient le public ; l’un, gravé au-dessus d’un tombeau de la crypte, dans un latin assez barbare, débutait ainsi :

IDOLA REX VANA PLEBS ET SIMULACRA PROPHANA
YRENÆUS PULCRO JACET HIC TESTANTE SEPULCHRO :
SANCTUS ALEXANDER ET YPIPODIUS HIC REQUIESCUNT.

L’autre sur vélin, que les archives du Rhône ont recueilli, était suspendu dans un cadre à la portée des curieux.

Il s’était évidemment formé une tradition, plus ou moins avérée, plus ou moins précise, tendant à affirmer qu’à la dislocation des deux communautés, comme nous le disions plus haut, celle de Saint-Just avait revendiqué le droit de tout garder, et, pareille aux