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Au loin alentour, les fleurs des bois sont teintes du sang pur de la victime. Maintenant commence l’agonie ; mais le héros n’aura plus longtemps à lutter : sa blessure est trop profonde. Sigfrid est mort. Alors les seigneurs soulèvent son cadavre, le placent sur un bouclier d’or rouge et brillant, conformément aux antiques honneurs destinés aux héros, et prennent le chemin de Worms sur le Rhin. En route, les guerriers se demandent s’il ne conviendrait pas d’attribuer à des voleurs le meurtre de Sigfrid, afin d’échapper à la honte d’avoir assassiné traîtreusement un allié. « Je veux, s’écrie Hagen, le porter moi-même à Worms. Que m’importe si Chriemhilt apprend que c’est ma main qui l’a frappé ? Elle a fait à Brunhild une insulte si grande, que je m’inquiète peu de sa douleur ; elle peut pleurer tout à son aise. »

Et l’impitoyable Hagen, protégé par les ténèbres qui sont descendues au moment où l’on arrive à Worms, dépose le cadavre devant la porte de la maison où demeure Chriemhilt. Il prévoit que, lorsqu’à l’aube prochaine la reine sortira pour se rendre à la messe, suivant sa coutume, ses yeux apercevront le corps de Sigfrid. Son horrible calcul n’était que trop juste. Le chambellan qui précède Chriemhilt, un flambeau dans la main, remarque le cadavre, et s’écrie aussitôt : « Ô reine ! arrêtez ! je vois le corps ensanglanté d’un chevalier étendu en face de votre seuil. » Un cri d’épouvante et d’horreur est toute la réponse de Chriemhilt. Elle n’a pas besoin qu’on lui dise le nom de la victime qui est là gisante ; ses pressentiments ne l’avertissent que trop bien ; mais, lorsqu’aux pâles lueurs du flambeau elle aperçoit ce noble corps tout souillé de