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Page:Martin - Poètes contemporains en Allemagne.djvu/152

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Dans cette même pierre où mon pied résonne, la main d’un mortel a imprimé le sceau de sa pensée : — des caractères écrits, des lettres. Cinq lignes d’égale longueur et comprenant chacune dix croix, laissent assez deviner que cette inscription remonte à loin ; mais voici la trace encore visible de pas sur le roc, et je crois distinguer un sentier qui conduit vers la pente. Oui, là, sur le versant, est un lieu de repos ; de nombreuses écailles d’œufs prouvent qu’on y a souvent mangé. Quel était, quel est peut-être encore l’hôte de ce désert affreux ? Et, plein d’anxiété, je me dirige, épiant en tous sens, vers le rebord exposé à l’orient. Au moment où, me croyant bien seul, je franchissais les dernières saillies d’ardoises qui m’avaient caché jusqu’alors le versant opposé, j’aperçus tout à coup, étendu devant moi, un vieillard paraissant âgé de cent ans au moins, et dont les traits présentaient la solennelle immobilité de la mort. Nu dans toute sa longueur, le corps décharné du vieillard était enveloppé des flocons argentés de ses cheveux et de sa barbe tombant jusqu’aux genoux. La tête appuyée contre les parois du rocher, sa large poitrine était couverte de ses deux mains posées en croix. Et tandis qu’avec une stupeur pieuse je contemplais fixement cette grande figure, je sentis soudain d’abondantes larmes inonder mes joues. Enfin, plus maître de moi, j’appelai à grands cris mes compagnons, qui ne tardèrent pas à me rejoindre. Comme ils se tenaient là tous en cercle, immobiles d’étonnement et de respect, voici que tout à coup ce corps roide remue, cette poitrine muette respire légèrement ; voici que le mystérieux vieillard entr’ouvre ses yeux fatigués et soulève sa tête ! Il nous regarde d’un air de doute et de surprise ; et s’efforce de tirer encore quelques paroles de sa bouche engourdie ; — mais c’est en vain ! il retombe, il a vécu ! Le médecin de l’équipage essaye inutilement de le ranimer. Ce n’est plus qu’un cadavre autour duquel nous prions agenouillés.

En cet endroit se dressaient trois larges parois d’ardoises couvertes d’inscriptions tracées à la main. C’est à moi qu’échut