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reiselied. — chanson de voyage
à mon frère

Poursuis ta route à travers les vallées, par delà les montagnes, et sur les rives des lacs d’azur, un ciel radieux sur ta tête, et derrière toi le pâle septentrion ; sur tes épaules, un vêtement léger ; dans ta main, le bâton du pèlerin ; jette par terre tout bagage, et secoue, avec ce fardeau, tous tes soucis.

Lorsque, pour la première fois, tes yeux verront les glaciers au soleil couchant, ou que la rose des Alpes, pour la première fois, t’offrira sur les hauts lieux sa corolle pourprée, pense à ton frère, qui, sur ces mêmes pelouses alpestres, a joui de la plénitude de son existence ; sur les ailes du vent du soir, envoie-lui ton salut fraternel.

Lorsque tu arriveras près de la cabane du vigneron, sur les bords fortunés du Léman, à l’heure où la pleine lune argentée repose sur cette nappe d’azur, au moment où les Alpes de la Savoie dressent, comme des fantômes, leur tête pâle et silencieuse, je veux, de loin, jouir avec toi, et voir, de tes yeux, ce grand spectacle.

Tu cueilleras ensuite la grappe dorée, qui mûrit au soleil du Midi ; tu la cueilleras sur la pente du même vignoble que j’ai parcouru dans les premiers jours de ma jeunesse. Si la brune fille du vigneron vit encore, mariée sans doute, sur cette rive du lac, porte-lui, de la part de l’étranger, une parole de souvenir amical.

Oh ! quels beaux jours ! lorsque l’avenir s’éclipse encore, ou se montre dans un lointain magique comme les glaciers, légèrement voilé par des nuages d’or et de pourpre ! Ô mon frère ! saisis au passage les heures fugitives ; prends en main le bâton léger du pèlerin ; secoue la poussière de tes pieds, et jette encore loin derrière toi les soucis rongeurs.