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Page:Martin du Gard - Le Cahier gris.djvu/113

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Ils n’avaient pas osé dire qu’ils mouraient de faim.

Le mobilier de la chambre se composait de deux lits, d’une chaise, d’une cuvette. En entrant, la même confusion les avait troublés d’avoir à se dévêtir l’un devant l’autre. Toute envie de dormir était dissipée. Afin de retarder le moment pénible, ils s’étaient assis sur leurs lits pour faire leurs comptes : additionnées, leurs économies se montaient à cent quatre-vingt-huit francs, qu’ils partagèrent. Jacques, vidant ses poches, en avait tiré un petit poignard corse, un ocarina, une traduction à 0 fr. 25 de Dante, enfin une tablette de chocolat à demi-fondue, dont il avait donné la moitié à Daniel. Puis ils étaient restés sans savoir que faire. Daniel, pour gagner du temps, avait délacé ses bottines. Jacques l’avait imité. Une angoisse imprécise aggravait leur gêne. Enfin Daniel avait pris un parti : il avait soufflé la bougie en disant : « Alors, j’éteins… » Et ils s’étaient couchés très vite, en silence.

Le matin, avant cinq heures, on ébranlait leur porte. Ils s’habillèrent comme des spectres, sans autre éclairage que l’aube blanchissante. La crainte d’avoir à causer,